Réflexion sur l’annonce d’un nouveau projet de réforme de la justice
PROPOSITION TAUBIRA – JANVIER 2013 – « CHANGER DE JUSTICE »
Que de substances intellectuelles dépensées, que de pertes de temps, que de travaux oubliés, que d’effets d’annonces multiples de réformes annoncées de la JUSTICE dont presque toutes ont fait long feu au point qu’il est à craindre que ce nouveau chantier ne suive le sort de ses précédents.
Déjà, lors du Congrès de DEAUVILLE organisé par la CNA en Mai 1994 sur la JUSTICE, j’avais, en ma qualité de rapporteur de synthèse, décliné les différents rapports principaux qui s’étaient succédés dans le temps sur ce délicat sujet :
rapport BARDON en 1967
rapport FOYER en 1980
rapport DAUSSY en 1982
rapport THAILHADES en 1985
rapport TERRE en 1987
rapport de l’Inspection des Services Judiciaires en 1988
rapport HAENEL et ARTHUIS en 1991 et 1994
Plus près de nous, le rapport DELMAS MARTY et de la Commission TRUCHE qui ont largement inspiré le projet de réforme GUIGOU alors Garde des Sceaux.
Plus récemment encore le rapport DARROIS pour ne citer que les principaux.
A ces rapports officiels, l’on doit ajouter les cris d’alarme de l’état de la justice d’Antoine GARAPON, de Denis SALAS et de notre regretté brillant Confrère de la CNA Marc VARAUT.
D’où une certaine inquiétude sur le devenir des travaux en cours à la Chancellerie et au Conseil National des Barreaux sur cette question pourtant primordiale pour l’équilibre social.
Les difficultés en France de faire aboutir une réelle réforme de la justice proviennent de l’esprit jacobin de nos politiques de tous bords qui, à chaque échéance électorale, annoncent l’indépendance de la justice, mais ne lui accordent qu’une liberté contrôlée et surveillée par crainte de la mise en place d’un gouvernement des juges.
Inconsciemment d’ailleurs, ils veulent que la justice soit l’outil de leur philosophie politique.
L’ETAT DES LIEUX :
Notre justice est exsangue, submergée par un contentieux de masse accru, auquel il est difficile de faire face par manque de moyen structurel et technique ; notre justice est politiquement maltraitée, budgétairement mal appréhendée du fait des financements mal ciblés ; notre justice est insuffisamment spécialisée et ses magistrats mal formés face à la complexification de certains domaines du droit ; notre justice est archaïque en raison de l’existence parallèle de deux ordres judiciaires administratifs et civils et de juridictions consulaires et prud’homales qui échappent souvent à l’exigence d’un procès équitable ; quant à notre justice pénale, elle génère souvent des confusions de genre notamment s’agissant des pouvoirs respectifs de l’instruction, du Parquet et de la défense, au grand désarroi des justiciables.
COMMENT REMEDIER A UNE TELLE GABEGIE ?
Pour pallier l’encombrement de la justice, un haut magistrat aujourd’hui retraité rappelait non sans humour qu’un empereur de Chine, constatant le caractère chicaneur de ses sujets, préconisait que ceux qui auraient recours à la justice soient traités sans pitié de telle façon qu’ils soient dégoutés des procès et tremblent d’avoir à comparaître devant les magistrats.
Seuls les bons concitoyens qui auraient des difficultés entre eux s’arrangeraient entre frères en se soumettant à l’arbitrage des vieillards et du maire de la commune.
C’était déjà l’amorce d’une mise en place d’une justice privée remplaçant ou à tout le moins allégeant la charge de la justice impériale et de ses magistrats.
C’est d’ailleurs dans ce sens, ces dernières années, que des réformes de détail ont livré une partie du pouvoir régalien de justice à des juges citoyens (correctionnelle), à des juges de proximité, à des médiateurs et à des arbitres.
Mais une déjudiciarisation excessive est-elle une véritable solution aux difficultés de la justice, solution qui d’ailleurs remet en question le principe selon lequel le juge rend la justice au nom de la souveraineté populaire.
Il faut à cet égard mesure garder, et avant que d’envisager une justice idéale pour le XXIème siècle, il m’apparaît impératif de poser préalablement les bases des principes fondamentaux qui assureront son encadrement pour le plus grand profit de tous, car ce n’est pas par le détail que l’on dessine un ensemble.
LES TENDANCES DU PROJET TAUBIRA :
La philosophie du projet s’exprime en de grandes idées généreuses dans leur principe ; nous n’en retiendrons que les principales qui nous apparaissent inspirer celui-ci :
« entre le faible et le fort, c’est la justice qui protège »
« impartiale et sereine, la justice doit être proche des citoyens »
Chacun ne peut que faire siennes ces pétitions de principe déjà affirmées en d’autres temps, mais leur concrétisation implique une éradication de la tendance jacobine étatique et une remise à plat de l’institution justice pour répondre à l’attente pressante des citoyens.
Tenir comme principe de justice que le faible sera systématiquement protégé du fort s’éloigne de la notion juridique d’équilibre entre les droits de chacun ; peut-on protéger le faible s’il n’est pas dans son droit ?
Cela peut être interprété comme une tendance de donner à la justice non plus un rôle d’équilibre entre les rapports sociaux mais un rôle protecteur du plus faible, l’Etat par sa justice devenant plus Etat-providence que gendarme avec pour conséquence l’abandon par la justice de sa neutralité, négligeant son rôle d’arbitre des conflits et tenant compte de la situation particulière du plaideur.
Ceci pour mettre en garde sur la portée des mots sans vouloir pour autant faire un procès d’intention qui serait déplacé avant que le projet ne soit réellement concrétisé et donc susceptible de critiques ou d’apports.
QUELS SONT LES PRINCIPES FONDAMENTAUX QUI DOIVENT GUIDER L’ACTION DE JUSTICE ?
1° L’INDEPENDANCE DES JUGES
2° LEUR NEUTRALITE POLITIQUE ET SOCIALE
3° LA RESPONSABILITE DU JUGE NEGLIGENT
4° LE RECRUTEMENT OUVERT ET LA SPECIALISATION DES JUGES
5° LA TRANSPARENCE DE LA JUSTICE ET LE REGROUPEMENT STRUCTUREL ET GEOGRAPHIQUE DU DOMAINE JUDICIAIRE
6° LA PROXIMITE DES JUGES ET DES JUSTICIABLES
7° LA DISTINCTION CLAIRE DES TÂCHES DANS LE DOMAINE PENAL
MODES DE MISES EN ŒUVRE PRATIQUE DE CES PRINCIPES :
1° L’INDEPENDANCE DES JUGES
Il ne peut y avoir de justice égalitaire et équitable sans indépendance des juges.
Passant outre le principe d’équilibre de la Séparation des Pouvoirs, cher à l’auteur de l’Esprit de Lois, la Constitution de 1958 a volontairement soumis la Justice au pouvoir de l’Exécutif en la reléguant au rang « d’Autorité Judiciaire », c’est-à-dire Service de l’Etat tout en protestant démagogiquement du maintien de son indépendance.
L’indépendance des juges passe tout d’abord par un pouvoir de contrôle du respect par tous les citoyens, quels qu’ils soient, des règles que s’est donné volontairement le peuple souverain par la voie parlementaire, indépendance constitutionnellement consacrée et statutairement définie.
Or, force est de constater qu’aujourd’hui le juge est entravé implicitement dans sa libre action par les limites imposées constitutionnellement à la justice et statutairement aux magistrats.
La Justice doit redevenir un pouvoir d’équilibre dans toute sa plénitude, ce qui implique que l’Exécutif renonce définitivement à tous moyens coercitifs constitutionnels et statutaires propres à en réduire la portée.
2° LE PRINCIPE DE NEUTRALITE
Mais cela implique également que les magistrats jettent, dans l’exercice de leurs fonctions, leur dépouille politicienne personnelle aux orties.
Un Juge doit être NEUTRE ET IMPARTIAL ; il ne doit ni être de gauche, ni du centre, ni de droite et ne doit pas exprimer ses sentiments politiques citoyens dans l’accomplissement de sa fonction d’arbitre.
La règle de droit doit fonder sa décision sans considération sociale ou politicienne.
L’on est hélas le témoin au quotidien de certaines dérives ou par le canal d’un syndicalisme outrancier l’on voit naître des magistrats militants qui, éloignés de l’intérêt de la justice, usent de celle-ci pour obtenir un changement radical de Société.
Il est choquant que lorsqu’on revendique à corps et à cris le statut protecteur de magistrat au service des citoyens, on donne à ceux-ci le spectacle déplorable et navrant d’un oubli, voire d’un rejet de leur devoir envers les usagers du droit.
Lorsque la justice est politisée ou sert d’outil politique, elle entre dans la logique d’une justice de classes et abandonne son rôle primordial de régulateur social.
Par application de la règle de droit, expression de la volonté populaire, le juge doit veiller à ce que le droit soit égal pour tous et éviter, pour des raisons d’opportunité sociale ou politicienne du moment, de remettre en question droits acquis et sécurité juridique.
Il n’appartient pas au Juge mais au Législateur de remodeler la structure sociale si ce n’est qu’en attirant l’attention du Parlement sur certaines inégalités de droit par une jurisprudence avisée.
Mais en aucun cas, pour préservation de son Indépendance, il ne doit dépasser la frontière de la neutralité à peine d’épouser un parti et ainsi d’aggraver les effets d’un litige.
3° LA RESPONSABILITE DES JUGES
Une juge est à la merci d’une erreur d’interprétation des données juridiques et des faits d’une affaire qui lui est soumise.
Le justiciable est protégé des effets de cette erreur par les voies de recours contre la décision rendue.
L’acte de mal juger ne saurait constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité personnelle du magistrat.
En décider autrement serait remettre en question la fiabilité de la justice et paralyser la fonction de juger.
Cependant, rien n’interdit d’engager à l’encontre d’un magistrat une procédure disciplinaire du fait de carences ou de défauts volontaires de mise en œuvre des moyens de rendre bonne justice.
Dans ces cas, la faute volontaire impose sanction.
Là doit s’arrêter la recherche de responsabilité personnelle, et s’il y a préjudice, les pouvoirs publics seront en charge d’indemniser.
4° LE RECRUTEMENT ET LA SPECIALISATION DES JUGES
Il est souvent reproché aux juges leur absence d’expérience de terrain et de spécialisation dans certains domaines complexes qu’ils sont amenés à connaître.
Le juge sorti de l’ENM est directement confronté à la réalité sociale sans y avoir été suffisamment préparé. En d’autres termes, le juge pêche actuellement par absence de PROFESSIONNALISATION.
Pour avoir accueilli durant de nombreuses années des futurs magistrats en stage au sein de mon Cabinet, j’ai pris la mesure de leur approche théorique de la réalité sociale.
L’expérience ne s’acquiert pas en Ecole mais sur le terrain et une formation commune Avocats – Magistrats, suivant en commun des stages réhabilités en Cabinet et en juridiction durant un temps raisonnable pour s’imprégner des pratiques du droit et des rapports avec les justiciables favoriserait le développement d’une expérience nécessaire et enrichie.
Jadis d’ailleurs, les futurs magistrats sortis du Concours de la Magistrature se voyaient imposer un stage en juridiction en qualité d’attaché de Parquet.
Cela aurait de plus pour conséquence heureuse de rapprocher Magistrats et Avocats et de permettre, sans complication administrative, des transferts de fonction mutatis mutandis, car un bon avocat expérimenté ne peut être qu’un bon magistrat et un bon juge confronté aux sujetions de la défense, un bon avocat.
Mais outre l’expérience nécessaire pour bien juger en parfaite adéquation avec la réalité économique et sociale, la complexité accrue des règles juridiques dans des domaines de plus en plus imprégnés de technicité, impose une SPECIALISATION des Juges, facteur de rapidité et d’efficacité de la Justice.
Le Juge, selon l’expression de PORTALIS, est « la bouche du Législateur » à condition cependant qu’il maîtrise parfaitement l’esprit et la portée des Lois qu’il est amené à faire respecter et qu’il ait connaissance des évolutions jurisprudentielles de la matière en droit positif français comme en droit européen.
D’où SPECIALISATION impérativement nécessaire qui débouchera sur une véritable PROFESSIONNALISATION, évitant ainsi la « valse » improductive des magistrats du JAF vers le Droit de la Construction ou du Droit de la Construction vers le contentieux Médical, toutes matières étrangères par leur nature, leur mode de preuve ou de raisonnement juridique.
Et un Avocat spécialisé dans un domaine précis, devenu magistrat, serait un vecteur d’évolution positive de la Justice.
5° LA TRANSPARENCE DE LA JUSTICE ET LE REGROUPEMENT STRUCTUREL DU DOMAINE JUDICIAIRE
Le citoyen doit avoir une lecture claire de sa Justice.
Or, sa vision se trouve perturbée non seulement par la dispersion structurelle et géographique des juridictions mais de surcroît pas l’image déformée qu’en donnent les médias.
a) La dispersion géographique :
Madame TAUBIRA semble renoncer à prolonger la réforme partielle de la carte judiciaire initiée dans la douleur en 2008.
L’on peut le déplorer car si cet embryon de réforme fut limité à la suppression de 23 Tribunaux de Grande Instance sur 181 existants, si 178 Tribunaux d’Instance ont disparu sans réelle étude d’impact sociétal et économique sur la région concernée, rien ne fut fait pour préserver la proximité juge-justiciable, rien ne fut envisagé pour la création de juridictions spécialisées ou non dans les nouveaux bassins économiques.
Il appartient à nouveau à la CNA de faire bouger les lignes en reprenant des principes par elle proclamés lors, en particulier, de son Congrès de DEAUVILLE en 1994 :
Fonction de proximité de la justice par rapport aux citoyens, car le moins que la réforme puisse faire est d’organiser l’approche géographique du consommateur de droit et du service de la justice pour la rendre plus accessible et moins coûteuse.
Le regroupement de certaines compétences judiciaires au sein de certaines juridictions arbitrairement ou politiquement choisies ne répond pas aux exigences de proximité, est coûteux pour le justiciable et peu lisible.
Création de juridictions dans les nouveaux bassins économiques pour éviter la désertification et l’éloignement judiciaire.
Un déploiement plus rationnel s’impose qui tienne compte des principes que dessus rappelés, sous réserve d’exigences budgétaires :
Une Cour d’appel par régions administratives qui s’inscrive dans un réel bassin économique ; les régions économiquement désertées ne pouvant revendiquer le maintien d’une Cour pour des raisons d’inutilité et d’économie budgétaire.
Un Tribunal de Grande Instance pas département sous mêmes réserves que dessus
Spécialisation des juridictions dans des domaines d’activités dominantes correspondant à l’économie de la région d’implantation.
Sans vouloir revendiquer quelconque primauté Toulousaine (on ne parle bien que de ce que l’on connaît), à titre d’exemple l’activité Aéronautique de Toulouse imposerait la présence de juridiction spécialisée dans le domaine des transports aériens et des rapports conventionnels spéciaux au sein de cette industrie.
La nature de l’activité dominante du bassin économique pourrait être un des critères d’implantation d’une juridiction spécialisée.
b) Le regroupement structurel des Tribunaux et Cours
Notre organisation judiciaire, née d’une évolution historique, comprend des juridictions de droit commun et des juridictions dites spécialisées.
Parmi les juridictions spécialisées, il en est, détachées de l’organisation de droit commun, qui sont consacrées à certaines matières particulières telles que Tribunaux Consulaires en charge des affaires commerciales ou Conseils des Prud’hommes tenants des affaires sociales.
Ces juridictions spéciales, au niveau du premier degré, sont indépendantes des juridictions de droit commun et ne les rejoignent que dans le cadre des voies de recours.
Pour des raisons de lisibilité, est-il opportun de les maintenir hors du champ des tribunaux de premier degré de droit commun ?
Et puisque la spécialisation des juridictions est à l’ordre du jour, notamment dans leur organisation interne, ne pourrait-on pas envisager d’insérer ces juridictions spéciales au cœur même des tribunaux de droit commun, en se gardant cependant de porter atteinte à leur spécificité, dans des chambres spécialisées organisées selon soit le principe de l’échevinage, soit celui du mixage, plus particulièrement s’agissant des Juges Consulaires pour préservation des sources enrichissantes du droit prétorien.
Ce regroupement favoriserait une approche claire de nos juridictions par les justiciables et éviterait d’alimenter les litiges corporatistes entre juges de droit commun et juges spécialisés.
c) La suppression de la distinction entre justice administrative et ordre judiciaire
Ces deux ordres de juridiction sont nés historiquement du principe de séparation des pouvoirs.
Elles sont également le reflet d’une volonté de l’exécutif de ne point se soumettre à la justice de droit commun.
Le rapport entre les membres de l’administration et entre l’administration et les assujettis procède d’un pouvoir régalien, séquelle de l’ancien régime, puisque pendant de nombreuses années les litiges entre administrateurs et administrés relevaient de la seule compétence au premier degré des Conseils de Préfecture puis, sur recours, du Conseil d’Etat.
Selon TOCQUEVILLE, ce privilège de l’administration appartenait aux agents du roi et a été maintenu au profit des agents de l’Etat républicain.
Les lois des 16 et 24 août 1790 interdisaient à l’ordre judiciaire de juger des actes de l’exécutif.
D’où répartition byzantine de compétences face à laquelle le justiciable ne s’y retrouve guère ; à titre d’exemple une victime de contamination transfusionnelle évolue de manière forcée entre judiciaire et administratif selon qu’elle ait ou non engagé son action en indemnisation antérieurement ou postérieurement à une date procéduralement arrêtée (loi du 17 décembre 2008 et ordonnance du 1er septembre 2005).
En outre, juges de l’ordre judiciaire et administratif ne s’accordent point sur le quantum des préjudices indemnisables.
Une telle disparité de traitement se saurait perdurer dans un Etat de droit qui prône l’égalité de tous devant la loi.
Rien n’interdit d’envisager que l’ordre administratif s’inscrive dans l’organisation générale judiciaire et devienne une section spécialisée des Tribunaux et Cours de droit commun, avec cependant une condition supplémentaire imposant que les magistrats spécialistes de cette section soient issus d’une formation professionnalisante de droit public selon des modalités à définir.
Combien la vie judiciaire en serait simplifiée.
d) Justice et médias ou la question de l’information des justiciables
La justice se rend dans des prétoires et non en place publique.
Elle ne saurait dépendre de la vindicte populaire dont on connait les outrances alimentées par des médias peu scrupuleux à l’affut d’un « scoop commercialisable ».
A juste titre, Monsieur ARTHUIS a pu affirmer que la presse devait avoir un rôle éducatif de l’opinion publique à l’égard du pouvoir judiciaire alors qu’actuellement il convient de déplorer que, loin d’éduquer, certaines presses orientent, conditionnent, manipulent l’opinion publique, font ou défont des réputations de citoyens confrontés à la justice, rendent des pré-jugements, dépassant, au nom d’une liberté d’expression sans limite et débridée, la simple obligation d’informer objectivement.
La désinformation programmée du public donne ainsi aux citoyens une image déformée de la justice.
En matière pénale comme en matière sociale, domaines particulièrement sensibles, les communiqués de presse des juges sont-ils suffisants pour assurer la transparence de la justice et effacer le malaise latent d’une opinion publique qui cherche désespérément où se situe la vérité ?
La mise en place d’une communication intelligente et pédagogique réalisée par des professionnels de la communication pour le compte et en liaison étroite avec les juges s’impose ; car un juge seul n’est point formé à ce délicat exercice de communiquant.
Pour un besoin de transparence et parce que la justice doit être ouverte vers les citoyens en vue de démontrer sa fiabilité et prouver son souci d’équilibre, l’information sur des procès sensibles doit être la règle sous condition, notamment en matière pénale, du strict respect de la présomption d’innocence, de la préservation de la dignité du sujet de droit, du respect du débat contradictoire.
Nous semblons face à la presse d’excès, avoir oublié la notion d’abus de droit sanctionnable ; il existe en effet en notre législation tout un arsenal de mesures permettant d’affronter les outrances et les contrevérités d’une certaine presse sans pour autant porter atteinte à la liberté d‘expression ; une contrevérité non prouvée,portée par la presse au rang d’une vérité, constitue un abus de droit dommageable.
6° LA PROXIMITE DES JUGES ET DES JUSTICIABLES
Déjà en 1994, le garde des sceaux du moment pouvait affirmer « il faut à la France une justice de proximité, rapide, plus accessible et de qualité ».
Et Monsieur ARTHUIS dans le prolongement de cette pétition de principe, en soulignait le trait en déclarant « que la connaissance de la justice par le citoyen est l’élément premier et nécessaire d’une proximité. Rien n’est plus éloigné de soi que ce que l’on ignore ».
A l’évidence, la proximité des juges et des justiciables favorise le rapport de confiance et une politique, hélas, menée à ce jour de suppression de certains juges d’instance et de suspension de la fonction de juge de proximité vont à l’encontre de l’idée même d’une justice se fondant dans la vie sociale.
Il m’apparaît nécessaire de remettre en ordre de marche les Tribunaux d’Instance, reprenant les fonctions des Juges de Proximité et empruntant le rôle passé de Juge de Paix, dans des secteurs géographiques harmonieusement répartis sur tout le territoire soit sous forme de juges permanents selon l’importance de concentration de population, soit sous forme de juge itinérant délégué par le Tribunal de Grande Instance départemental pour régler les litiges du quotidien,soit selon les modes alternatifs de règlement des conflits (conciliation, médiation, arbitrage) soit, en cas d’impossibilité d’accord amiable, par voie contentieuse susceptible ou non de recours selon l’intérêt du litige.
S’agissant des modes alternatifs, ils seraient rendus obligatoires de par la loi préalablement à tous contentieux, en présence d’avocats, pour respecter le principe du contradictoire, et placés sous le contrôle du juge aux fins d’homologation en vue d’assurer force éxècutoire à l’accord et de veiller à ce qu’il soit équitablement établi.
Ce qui donnerait à ce mode de traitement des litiges ses lettres de noblesse puisque placé sous couvert de Justice.
Ce maillage régional assurerait un contact permanent entre justice et justiciable, propre à assurer la paix sociale.
7° DEFINITION CLAIRE DES TÂCHES DANS LE DOMAINE PENAL
Des affaires plus ou moins récentes qui ont défrayé la chronique judiciaire ont reposé la question des rôles et des pouvoirs respectifs de l’accusation, de l’instruction et de la défense.
a) Le Juge d’Instruction
L’affaire OUTREAU a permis au Juge d’Instruction d’échapper définitivement à sa solitude puisque désormais la mise en détention appartient au Juge des Libertés et de la Détention.
Déjà, Monsieur BADINTER, Garde des Sceaux, avait pressenti le danger de confier à un seul homme le pouvoir de prise de corps et avait préconisé la création de chambres d’instruction collégiales seules en charge de décider dans ce domaine sensible, des mesures privatives de liberté, projet demeuré lettre morte pour des considérations budgétaires.
Demeure cependant le caractère « schizophrène » de la fonction de Juge d’Instruction qui se trouve à la fois instructeur à charge et protecteur des droits de la défense.
Certes, dans un système français inquisitoire, la préservation d’une procédure équitable est particulièrement difficile à mettre en œuvre.
L’on pense toujours au système accusatoire américain qui voit se confronter accusation et défense à armes égales face à l’arbitrage d’un juge, accusateur et défenseur ayant mêmes moyens matériels et financiers pour faire valoir des arguments contraires.
Ce système ne saurait en l’état être transposé en droit français car l’accusation a à sa disposition tous les moyens matériels de l’appareil judiciaire et policier ainsi d’ailleurs que le Juge d’Instruction alors que la défense n’a même pas la faculté de solliciter des témoins à peine de sanctions pénales.
Il serait cependant idéal d’envisager d’imposer, sous condition de moyens budgétaires appropriés que la crise actuelle ne nous permet pas d’espérer, qu’accusation et défense soient placées sur le même pied d’égalité afin de parvenir à un procès équitable dans les termes de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Le Juge d’Instruction ne serait plus dès lors un agent d’investigation mais un arbitre tranchant sur les données à charge et à décharge présentées par l’accusation et la défense avec faculté d’ordonner des mesures appropriées de conservation de preuves.
Mais cela relève d’un devenir lointain.
b) Le rôle du Parquet
L’on pourrait cependant envisager une certaine amélioration du sort du Parquet face aux exigences étatiques.
Le Parquet est actuellement « le chien du roi ». Il se voit donc contraint de principe, et malgré les protestations d’indépendance, d’obéir aux exigences de son mandant l’Etat.
Dès lors, ses décisions de poursuivre ou non relèvent d’un parti pris, lié à une politique pénale décidée par l’exécutif, sous réserves cependant du droit verbal de ne point requérir ou de ne pas poursuivre.
Pour éviter toute confusion de genre, il conviendrait que d’abord le statut du Parquet soit détaché du statut des magistrats du siège et qu’il s’inscrive purement et simplement dans le rôle qui est le sien d’AVOCAT DE L’ORDRE PUBLIC.
La question cependant est de savoir si l’on doit accorder au Parquet une totale indépendance le préservant de toute pression politicienne.
Cette vision des choses ne va pas sans danger, l’homme étant ce qu’il est et le pouvoir générant parfois des excès.
Il serait impensable que l’Ordre Public soit laissé à l’arbitraire d’un procureur « électron libre » qui déciderait selon ses propres conceptions de la Justice et de l’Ordre Public.
L’on peut penser que la séparation du statut du Parquet de celui des magistrats du siège constitue l’un des moyens d’éviter la confusion de genre et d’alimenter la suspicion dans l’esprit des justiciables.
D’aucuns, pour ce faire, préconisent un recrutement différencié des Parquetiers et une formation de ceux-ci distinctes de celle des magistrats du siège.
Il est ainsi proposé pour le Parquet une indépendance fonctionnelle, à l’instar de ce qui se fait en Allemagne et en Angleterre ,afin de lui permettre de remplir la seule mission qui est la sienne : rassembler les charges établissant une violation de la loi pénale.
Et pour favoriser l’accomplissement sans contrainte de sa mission de poursuite, le Parquetier trouverait protection de son indépendance dans un statut spécifique lui assurant liberté d’agir, le rôle clairement défini de chacun, accusation, défense, arbitrage du juge simplifiant le déroulement du procès pénal.
Et le Juge d’Instruction, en son rôle d’arbitre préalable à toute poursuite devant les tribunaux, ne deviendrait qu’un Juge de la Mise en Etat du procès pénal, les mesures privatives de liberté demeurant l’apanage du Juge des Libertés sur demande argumentée du Parquet et de la défense.
Ces quelques observations ne sont qu’une humble approche de ce dossier complexe que constitue la reconstruction d’une Justice républicaine adaptée aux besoins des justiciables, plus proche d’eux et plus équitable car mieux équilibrée.
Elles sont livrées à la réflexion de tous.