Compte rendu du Dîner-débat CNA – 22 octobre 2012 : « Faut-il réformer le Parlement ? »
Lundi 22 octobre 2012, à l’occasion d’un dîner-débat organisé par la Confédération Nationale des Avocats et sa Section parisienne sur le thème « Faut-il réformer le Parlement ? », le Président de la Commission des Lois du Sénat, Monsieur Jean-Pierre SUEUR a présenté le Parlement français en insistant sur deux points essentiels: « l’hypertrophie de l’exécutif » et « le cumul des mandats ».
Il a été député du Loiret de 1981 à 1991, conseiller régional de la région Centre de 1981 à 1986, secrétaire d’Etat auprès du Ministre de l’intérieur, chargé des collectivités territoriales de mai 1991 à fin mars 1993 et maire d’Orléans de 1989 à 2001 puis Président de l’Association des Maires des Grandes Ville de France.
Réélu sénateur au scrutin proportionnel le 25 septembre 2011au premier tour, avec 51,15 % des suffrages exprimés, il est sénateur du Loiret depuis le 23 septembre 2001.
À la suite de sa réélection au Sénat, il a été élu président de la Commission des Lois de cette assemblée.
Hypertrophie de l’Exécutif
Pour le Président de la Commission des Lois le principal problème du Parlement tient à l’hypertrophie du pouvoir exécutif.
Il regrette qu’en France il n’y ait pas une culture du pouvoir législatif, ni une culture de la séparation du pouvoir.
Cette hypertrophie de l’Exécutif se double de conditions de travail qui font que les parlementaires souvent ne peuvent pas accorder assez de temps à leurs fonctions et qu’ils privilégient en quelque sorte la défense d’un territoire sur l’activité de législateur et c’est d’ailleurs lié au mode d’élection.
« A partir du moment où vous avez un scrutin uninominal à deux tours avec des circonscriptions, beaucoup se disent qu’ils seront davantage réélus sur la base de leur nombre d’apparition dans la presse locale que sur la base du nombre d’amendements qu’ils auront nocturnement défendus« .
Il constate que la France est dans une situation où tout concoure à l’hypertrophie du pouvoir exécutif avec par exemple le cas de la procédure normale où l’on vote la loi dans une assemblée puis dans une autre où l’on revient à l’assemblée où l’on crée une commission mixte paritaire : 7 députés, 7 sénateurs autant de suppléants, laquelle se met d’accord ou pas.
En cas d’accord, le texte est soumis aux Assemblées. A ce moment là, le Gouvernement, et lui seul, a la faculté de déposer un amendement.
Jean-Pierre SUEUR indique qu’il a toujours été contre ce système là.
Par exemple il y a 10 ans environ un Ministre de la santé avait réussi à faire passer, dans une loi sur la santé, un amendement à propos des boissons et aliments sucrés ; il avait été décidé que dans les émissions de télévision qui présentaient le sucre avec des effets de ce type une taxe serait perçue.
Le Ministre de la Santé est arrivé après la CMP et a réduit cette taxe considérablement par un amendement qui mettait derechef les parlementaires de la majorité de l’époque dans une situation difficile parce qu’ils ne pouvaient rien faire dans la mesure où après la CMP il n’y a qu’un seul vote.
Il faut que le pouvoir législatif s’affirme en tant que tel, qu’il n’intériorise pas l’hypertrophie de l’exécutif et que l’on retrouve comme principe éminent de la République, l’amour de la loi.
Le cumul des mandats
Il reconnait qu’il est sympathisant du non cumul des mandats. Il a eu beaucoup de plaisir à être parlementaire à temps plein. Il pense que l’un des gros défauts du parlement tient à ce que beaucoup ne font de cette activité qu’une activité accessoire.
Sur la limitation du cumul des mandats, sa position est simple. : « Un engagement a été pris. Il doit être tenu. Ou alors il ne fallait pas le prendre ».
« Certains assument simultanément deux mandats (un mandat parlementaire et un mandat exécutif local tel que maire d’une grande ville ou président d’une assemblée régionale ou départementale).Or il n’est pas plus logique qu’un nombre plus élevé de nos concitoyens et concitoyennes exercent de tels mandats électifs ?«
Ayant été député durant trois mandats et exerçant un second mandat de sénateur, il témoigne qu’il est difficile de cumuler un mandat parlementaire qui prend son titulaire à plein temps et un mandat exécutif local important tel le maire d’une grande ville, qui l’occupe également à plein temps. Pour avoir été onze ans maire d’une grande ville sans être parlementaire, il peut en témoigner.
Il rappelle que la réforme proposée n’empêche pas un député ou un sénateur d’être conseiller régional, conseiller général ou conseiller municipal : seules les fonctions exécutives (président, vice-président, maire ou adjoint) sont concernées par le « non cumul ».
D‘autre part, lorsqu’un député ou un sénateur passe chaque semaine en moyenne trois (ou quatre) jours dans son département et trois (ou quatre) jours au Parlement, Il peut tout à fait être « sur le terrain », à l’écoute de ses concitoyens et des collectivités locales.
Enfin, les parcours politiques peuvent donner lieu à des étapes différentes : dès lors que les électeurs en décident, on peut être député, puis maire, puis sénateur et conjuguer ainsi au fil du temps, de manière très complémentaire, le travail national et le travail local.
Tous les ministres actuels – sans aucune exception – ont abandonné leur mandat exécutif local pendant la période durant laquelle ils ont été membres du gouvernement. C’est une disposition très sage – un ministre doit se consacrer à temps plein à son ministère ».
Le non cumul des mandats sera une réforme et une modernisation forte dans la vie politique de la France.
Dans la plupart des pays d’Europe il n’y a pas de cumul des mandats et selon le Président SUEUR il est possible d’exercer un mandat tout en restant en contact avec les élus.
Points sur les récentes réformes
Une réforme en 2008 a eu des effets très importants, il s’agit de la QPC qui est selon lui une bonne réforme.
A propos de la QPC il évoque la loi sur le harcèlement sexuel où il avait pris l’engagement de tout faire pour qu’il soit mis fin au « vide juridique » – très préjudiciable aux victimes et aux justiciables – créé par la décision du Conseil Constitutionnel du 4 mai 2012 annulant les dispositions légales relatives au harcèlement sexuel.
Jean-Pierre Sueur fait état de l’important travail accompli par les sénateurs qui a permis d’aboutir à un vote unanime et à des ultimes modifications du texte instaurant une possible réparation civile en cas d’extinction du procès pénal et permettant d’éviter toute requalification de l’infraction d’agression sexuelle en harcèlement sexuel.
Il cite également 3 réformes importantes :
1 – Désormais le débat a lieu en séance publique, non plus sur le texte du Gouvernement mais sur le texte de la Commission, ce qui change beaucoup de choses.
De ce fait les Ministres peuvent venir aux réunions des Commissions pour défendre leurs positions. Bien que jusqu’à présent aucun Ministre ne soit venu ce qui aurait été diversement apprécié et risquerait d’être ressenti comme une ingérence.
Il pense que c’est bien, cela veut dire que si le gouvernement veut revenir à son texte, c’est à lui de déposer un amendement pour rétablir son texte initial contre les membres d’une Commission qui ont voté leur propre rédaction. C’est donc quelque chose de très important pour les parlementaires.
2 – La répartition du mois du travail parlementaire en trois parties : 15 jours à l’initiative du gouvernement (les projets de loi), 8 jours à l’initiative du Parlement (les propositions de loi) ce qui fait que les propositions de lois ont plus de place qu’avant.
Pour lui ces 8 jours pour les propositions de loi sont bien mais le problème c’est le problème du temps contraint.
Puis 8 jours pour le contrôle du Gouvernement par le Parlement puisque qu’il a deux missions inscrites dans la constitution (voter la loi et contrôler le pouvoir exécutif).
3 la création de l’étude d’impact : cette idée émane de Monsieur Renaud DENOIX de SAINT-MARC (ancien Vice-président du Conseil d’Etat) qui a proposé une étude d’impacte pour chaque projet de loi, les propositions en étant dépourvues.
Il est contre cette réforme pour l’avoir pratiquée car il pense qu’étudier l’impact de la loi relève du débat parlementaire, c’est-à-dire que l’impact de la loi est finalement un sujet politique.
Il faut bien entendue que le gouvernement et le parlement aient des capacités d’expertise.
Quels sont les problèmes auxquels les parlementaires sont confrontés ?
L’application des Lois : Tout gouvernement peut décider de ne pas appliquer la loi, tout ministre, tout secrétaire d’Etat peut dire en effet : « je n’applique pas la loi, il suffit de ne pas publier les décrets« et cette attitude négative n’est pas sanctionnée.
L’écriture parlementaire est aussi à revoir car elle peut dénaturer et affaiblir la force de la loi.
Depuis de nombreuses années, Jean-Pierre Sueur défend la cause des femmes dont la mère s’est vu prescrire le distilbène et qui subissent encore les effets de ce médicament qui a continué d’être autorisé en France alors qu’il était interdit aux Etats-Unis et dans d’autres pays.
En 2004, Jean-Pierre Sueur avait obtenu qu’une loi fût votée accordant à ces femmes le bénéfice d’un congé de maternité aménagé, leurs grossesses étant souvent difficiles.
Il déplore qu’entre le vote de ce texte de loi et la parution des deux décrets nécessaires à son application, il s’était passé… 5 ans, six mois et 14 jours.
Il prend cet exemple comme illustration des dysfonctionnements de nos institutions. Il ne suffit pas qu’une loi soit votée. Encore fait-il qu’elle soit appliquée. Et les parlementaires doivent être très vigilants quant à l’application des lois qu’ils votent.
Il trouve que dans une République digne de ce nom il faudrait ériger quelques contraintes qui obligeraient le pouvoir exécutif à appliquer la loi votée par le Parlement.
La question de l’application de la loi est une forte limite au pouvoir exécutif, et c’est ce à quoi veillent les parlementaires.
Selon lui le contrôle devrait essentiellement passer par les Commissions d’enquête.
Il reconnait aussi que les questions parlementaires ne sont pas un système qui marche très bien, il y a des milliers de questions écrites auxquelles le Ministre n’est pas obligé d’y répondre ou répondre par une « pure langue de bois ».
Il évoque ensuite la question du temps, avec la procédure appelée hier d’urgence et aujourd’hui nommée procédure accélérée, qui pour lui est très préjudiciable au travail parlementaire et à la qualité de la loi.
Est très préjudiciable également l’inflation législative – on pense que pour régler un problème il faut faire une loi et le fait de se servir de la loi comme d’un affichage est très pervers.
Ces éléments sont préjudiciables à l’écriture de la loi. Il a proposé à ses collègues un travail avec un colloque en 2014 sur l’écriture de la loi qui rassemblera des juristes et des linguistes – Le paradoxe de l’activité législative est que finalement la Constitution a voulu que la loi fût écrite dans le feu du débat.
Or écrire la loi, veut dire un débat en Commission suivi d’un débat en séance où on aura des centaines d’amendements qui vont être présentés, discutés, etc. et ce pendant des heures et des heures.
« C’est du discursif qui doit produire du normatif et cela ne va pas de soi « .
Pour lui, il est intéressant dans le texte de la loi de retrouver, les stigmates, les témoins du discursif.
Pour que la loi soit bonne, il faut du temps. C’est pourquoi il est pour le bicamérisme et pour que la procédure « dite accélérée » soit véritablement l’exception parce que le temps de la loi est nécessairement long si l’on veut faire bien le travail.
Le Décret passerelle
Il est contre le décret passerelle du gouvernement précédent qui permettrait à un certain nombre d’ex ministres, ex parlementaires de devenir avocats, il est d’accord avec la Garde des Sceaux qui veut le supprimer.
Monsieur SUEUR est absolument contre toute complaisance, toute facilité, tout passe droit et nous ne pouvons que l’approuver.
Cas de l’intercommunalité
Secrétaire d’État chargé des collectivités territoriales en 1992, Jean-Pierre Sueur a défendu devant le Parlement la loi à l’origine des premières « communautés de projet ». Il évoque leur histoire et défend, dans la perspective d’une nouvelle loi de décentralisation, deux conceptions : des régions fortes et des communautés plus puissantes élus au suffrage universel direct.
Pour lui, les communautés furent, l’une des principales innovations du XXème siècle dans l’organisation territoriale de la France.
La loi du 6 février 1992 crée une intercommunalité de ce nouveau type qui était promise à un grand avenir puisque chacune des 36.700 communes de France appartiendra bientôt à une communauté.
Il a défendu cette loi, en sa qualité de membre du gouvernement de l’époque, durant six lectures sur sept devant l’Assemblée nationale et le Sénat :
Les Français sont profondément attachés à leur commune. C’est pourquoi les tentatives de fusions de communes ou de multiplication des communes associées n’ont eu que peu de succès« .
Une commune de petite taille ne peut pas tout faire. La solution, c’était de maintenir toutes les communes et de les associer au sein de communautés librement constituées. Ainsi chaque commune pouvait continuer à faire ce qu’elle peut faire seule et que la communauté fasse ce que l’on peut mieux faire en se regroupant.
Il faut des régions fortes. C’est une nécessité à l’ère européenne et mondiale. Certaines peuvent être élargies ou regroupées. Leurs compétences doivent être accrues. Leur autonomie financière doit être développée.
Sa seconde conviction est que le mouvement qui a donné naissance à des communautés fortes, cohérentes et efficaces ne doit pas s’arrêter. « Cela vaut pour les communautés de communes qui doivent – quitte à ce que dans certains cas leur périmètre soit élargi – être les acteurs du développement maîtrisé du monde rural et des espaces dits périurbains ».
Cela vaut aussi pour les communautés d’agglomérations et les communautés urbaines, ou du moins pour une partie d’entre elles – les futures métropoles – pour lesquelles il préconise une élection au suffrage universel de leur président ainsi que des membres (ou d’une partie des membres) de leur conseil.
Dans la plupart des cas, l’instance d’agglomération décide de 60 à 70 % des dépenses, alors que les communes n’en gèrent que 30 à 40 %. La Révolution française avait posé le principe en vertu duquel les autorités qui prélevaient l’impôt et décidaient de son usage devaient être élues directement par les citoyens.
Il estime que ce principe doit prendre tout son sens dans les futures métropoles et qu’il serait salutaire et fructueux qu’il y ait tous les cinq ou six ans un débat en leur sein sur leur avenir, leurs priorités, leurs projets.
Les agglomérations ne sont pas seulement des fédérations de communes, mais qu’elles ont aujourd’hui leur spécificité, leur personnalité, leur existence propre.
La non généralisation des Participations Publiques Privées (PPP)
Le Président de la Commission des lois termine ce débat en évoquant les PPP et en reconnaissant que c’est une procédure utile, qui figure dans la panoplie des outils juridiques dont les élus et l’Etat peuvent se saisir pour réaliser des équipements.
Mais selon lui les PPP ont un caractère dérogatoire eu égard aux règles de la concurrence. Elles restreignent de facto la concurrence entre 3 ou 4 entités dans la plupart des cas.
Ainsi que vous pouvez le constater, le débat autour de ce dîner fut riche et passionnant.
Monsieur le Président Jean-Pierre SUEUR, aidé en cela par une vision claire de nos institutions, une précieuse expérience doublée d’une force de conviction peu commune a enthousiasmé les participants.
La CNA renouvellera, avec bonheur, cette expérience au semestre suivant.