Contribution de la CNA aux travaux de la Commission Marshall sur les juridictions du XXIème siècle
CONTRIBUTION DE LA CNA
Novembre 2013
PREAMBULE
Le groupe de travail ad hoc chargé de la contribution du CNB aux travaux de la Commission MARSHALL sur les juridictions du XXIème siècle a établi un projet présenté par sa responsable, Catherine GLON, à l’AG du CNB le 26 octobre 2013. Les composantes du CNB sont invitées à faire leurs observations et contributions pour l’AG du 15 novembre 2013.
La présente contribution de la CNA a l’ambition de s’inscrire dans une vue globale de la résolution des conflits, de tenir compte des réalités sociales, des moyens techniques nouveaux et des contraintes budgétaires persistantes. Elle rappellera à l’Etat ses devoirs d’autorité régalienne et elle fonde beaucoup d’espoir sur la constance de la profession d’avocat et son aptitude à diversifier ses métiers et à s’adapter au changement.
I – CHANGER DE CAP
Les lois successives de simplification de la procédure pour la rendre plus lisible et accessible aux citoyens n’ont fait que la compliquer pour tendre des pièges même aux plus avertis et l’éloigner des justiciables. Une première réforme impose de changer de cap.
Il faut changer de façon de réformer : pour éviter les effets de l’ignorance du terrain, les avocats doivent être systématiquement et de façon effective acteurs des réformes. Ils ne prétendent pas être seuls connaisseurs du terrain mais on est bien imprudent de réformer sans tenir compte de leurs avis fondés sur l’expérience.
L’expérience est l’état, à un moment donné, d’une activité judiciaire en changement continu. Tenir compte de l’expérience c’est donc se préparer encore et toujours à changer. C’est forte de l’expérience des avocats que la CNA demande de réformer notre justice.
Les moyens aujourd’hui insuffisants des juridictions ne seront pas augmentés.
Il faut optimiser les moyens des juridictions et leur utilisation. Cette optimisation n’a pas eu lieu et n’est pas en vue dans les projets aveuglément centralisateurs qui menacent notre justice et les justiciables auxquels elle doit ses services.
La justice ne doit pas participer à cette façon bien française d’aménagement du territoire qui aboutit au déménagement du territoire.
Le désastreux centralisme français paraît être le modèle des projets de nouvelle carte judiciaire et de la poursuite du regroupement des contentieux savants dans quelques juridictions.
La création d’un TPI avec des pôles civil, pénal, social, familial, économique… ne paraît pas la grande affaire. Certes, on changerait les dénominations, on modifierait des procédures, mais n’a-t-on pas déjà toutes les juridictions de première instance au Palais ou à la Cité judiciaire avec des juges du TGI affectés à celles de ces juridictions qui sont composées de magistrats ?
Cette création d’une juridiction unique de première instance, sur la validité et l’utilité de laquelle la Commission Guinchard avait exprimé un scepticisme argumenté, n’est retenue par la CNA que comme l’occasion d’unifier les procédures et de les sécuriser.
Enfin, l’activité judiciaire doit désormais être considérée
II – QUAND LE JUGE DOIT TRANCHER
A – LA SAISINE DU JUGE ET SES SUITES
1 – Diminuer le nombre d’incidents de procédure et éviter les procédures évitables :
La loi a multiplié les cas dans lesquels le juge peut mettre fin à l’instance sans juger, en même temps que la loi du 17 juin 2008 a réduit les délais de prescription et fait plus qu’avant dépendre leur interruption d’un procès abouti.
Le projet du CNB signale que le guichet unique permettrait d’étendre la règle de l’article R.1423-7 du Code du travail en vertu duquel, en cas de contestation sur la connaissance d’une affaire par une section, le président du conseil de prud’hommes, après avis du vice-président, renvoie l’affaire à la section qu’il désigne par ordonnance.
Il est aisé de réduire le nombre des irrecevabilités et caducités qui ont été déraisonnablement multipliées. Cette déraison a été illustrée par les articles 64-5 et 964 du Code de procédure civile (irrecevabilité d’office sans débat pour omission du timbre de 35 € ou de celui de 150 €). Les exemples sont multiples.
Les articles 2241 à 2244 du Code civil doivent être modifiés pour qu’il ne soit plus indispensable d’obtenir jugement ou de faire un acte d’exécution forcée pour interrompre une prescription. Pourquoi pas une mise en demeure qui pourrait être solennisée par la forme d’exploit d’huissier de justice ?
L’article 710-1, issu de la loi du 28 mars 2011, doit être modifié pour qu’à nouveau une décision judiciaire d’homologation puisse faire l’objet d’une publicité foncière au lieu que ce texte incite à faire rendre un jugement quand des droits immobiliers sont en jeu dans un litige judiciaire auquel les parties sont prêtes à mettre fin par une transaction.
Ouvrons la chasse aux textes qui provoquent des incidents et font demander des jugements évitables.
2 – Uniformiser la façon de procéder devant le juge :
Une autre façon de sécuriser le bon droit devant les juridictions doit être l’uniformisation des procédures en généralisant l’écrit et l’assistance par des avocats.
L’expérience a fait évoluer les pratiques là où la loi restait inchangée.
Devant d’autres juridictions que le TGI, et sans obligation, l’avocat se fait représenter aux audiences de procédure par un confrère local que la pratique dénomme communément «postulant », le juge lui impose un « calendrier de procédure » qu’on appelle souvent « mise en état » et le juge fixe, pour le respect du contradictoire, des délais pour communiquer et conclure par écrit bien que la procédure soit orale.
L’oralité des explications à l’audience n’est pas une contradiction de l’exigence d’écrit. Rien de mieux que quelques explications orales pour éclairer des points encore obscurs, pour mettre fin aux incompréhensions et pour faire apparaître, souvent, que des points litigieux ont cessé de l’être et permettre au juge d’aller droit à l’essentiel. On ne plaide plus comme naguère, là encore les gens de justice se sont adaptés à la modernité qui exige économie de moyens et efficacité pour une meilleure qualité des décisions rendues.
Ces évolutions doivent convaincre de changer la loi pour généraliser l’intervention d’un avocat qui aide le juge à bien juger et sans perte de temps, pour généraliser la mise en état et le recours à des écritures, pour qu’un juge rapporteur rapporte avant l’audience finale et pour d’utiles explications orales.
Généraliser ne veut pas dire interdire toute exception devant toutes juridictions dans tous domaines. Cela veut dire refuser que ce qui devrait être exceptionnel soit la règle.
3 – Faire profiter des compétences le plus grand nombre grâce aux nouvelles technologies :
On connaît le problème de la spécialisation : il y a de plus en plus de droits spéciaux et de matières savantes, elles se glissent dans des dossiers sur tout le territoire et, pourtant, la carrière du magistrat le contraint à passer d’un droit à l’autre au gré de ses mutations. Le risque d’incompétence s’aggrave.
La spécialisation des juridictions qui éloigne les contentieux savants de la majorité des barreaux est soutenue avec un argument que la CNA demande de retourner. L’argument est (p. 19 du projet du groupe de travail du CNB) : « Les progrès des nouvelles technologies permettent d’imaginer des juridictions fortement spécialisées, avec des ressorts étendus ».
Le CNB doit s’opposer à ce que la plupart des juridictions de droit commun soient privées d’offrir les services savants.
L’argument malheureux doit être retourné : « Les progrès des nouvelles technologies permettent de maintenir un réel maillage de juridictions généralistes, les juges spécialisés pouvant intervenir sans déplacement physique ».
Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté DELARUE est cité pour la matière pénale dans le projet CNB (p. 25) et on y lit que « la visioconférence doit très généralement être possible pour les audiences… de pur droit ». Elle offre une solution. Il y a des chambres spécialisées dans de grandes juridictions et les magistrats qui y siègent pourraient siéger aussi par visioconférence dans les autres juridictions, pendant l’audience avant laquelle ils auraient reçu le dossier et pendant le délibéré.
Cette possibilité indiscutable n’est pas la seule à envisager.
Les nouvelles technologies obligent à de nouvelles réflexions et de nouveaux schémas d’organisation du travail judiciaire.
Un combat majeur pour notre profession est de s’opposer à la fracture entre grands ressorts et le reste de la France. Il faut repousser le spectre du déménagement du territoire et rehausser sans cesse la compétence dans les ressorts judiciaires. Le Barreau doit sans cesse élever le seuil de la plus-value des avocats face à des clients qui accèdent au droit par Internet et attendent de nous toujours plus de compétence.
Le droit et la justice ont tout à gagner au maintien de la compétence sur tout le territoire. On emprunte au rapport GUINCHARD cette observation que le débat juridique dispersé sur tout le territoire judiciaire, devant de nombreuses juridictions, a cette vertu de construire le droit, d’enrichir les réponses des juges des réflexions des parties et de leurs avocats.
L’expérience le montre, la délocalisation d’un contentieux savant entraîne une perte de compétence dans les ressorts qui en sont privés et un notable taux d’abandon de leurs droits par les justiciables les moins favorisés, personnes privées et entreprises.
Toute réforme de la justice doit être au service des justiciables. Une délocalisation qui fait reculer l’accès au juge et l’assistance par un avocat des moins défavorisés est une injustice commise par l’Etat. L’égalité de tous devant la loi est en jeu.
B – UNE MISE EN ETAT CONVENTIONNELLE AVEC AVOCATS AVANT DE SAISIR LE JUGE
1 – L’origine du projet de la CNA et les circonstances de son gel :
La CNA a établi un projet de mise en état préalable à la saisine du juge qui a intéressé mais qui est resté à l’état de projet. La raison est qu’à ce moment-là était en discussion au Parlement la proposition de loi de M. BETEILLE qui devait aboutir à l’instauration de la procédure participative par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010. Le risque de parasitage a fait différer le projet de la CNA.
Depuis la loi du 22 décembre 2010, la procédure participative, malgré ses vertus certaines, connaît un relatif échec en particulier dû à ce que les parties doivent s’engager à rechercher une transaction tandis que les pièces produites dans la phase conventionnelle sont remises au juge en cas de contentieux judiciaire faute de transaction. Une procédure qui n’est ni tout à fait judiciaire ni tout à fait amiable a forcément du mal à trouver sa place.
Le risque de parasitage s’est éloigné.
2 – Objectifs et avantages visés de la mise en état conventionnelle avant saisine du juge :
Le projet de la CNA de mise en état avant saisine du juge s’adresse à ceux qui n’entendent pas s’engager à œuvrer conjointement à la résolution amiable de leur différend. Il s’agit d’une procédure ayant place dans le Code de procédure civile et non d’un contrat spécial régi par les articles 2062 à 2068 du Code civil instaurant la procédure participative.
A l’inverse de la procédure participative, elle est faite pour ceux qui veulent que l’effectivité de leur droit soit reconnue par le juge. Ce n’est pas un des modes alternatifs de règlement des conflits.
Retenons toutefois que la loi du 22 décembre 2010 est un précédent précieux. Elle fonde une procédure sur l’assistance obligatoire des parties par des avocats (article 2064 du Code civil) et elle prévoit que l’accord amiable des parties doit être constaté dans un acte d’avocat (postérieurement, la loi du 28 mars 2011 a donné à cet acte les trois attributs supplémentaires qu’on sait).
Le projet de la CNA d’une procédure de mise en état conventionnelle avec avocats est propre à décharger de toute la mise en état les juridictions, d’appel comme de première instance, juges et fonctionnaires de justice.
La mise en état conventionnelle redonnera aux parties la maîtrise de leur procès.
Devant la Cour d’appel, elle évitera les chausse-trappes procédurales de la nouvelle procédure d’appel qui ajoute inconsidérément des risques d’erreur à la charge des avocats et met en péril les droits des parties.
Le projet de la CNA tient compte de ce que beaucoup de plaideurs s’adressent à un avocat sans intention de coopérer avec l’adversaire à la recherche d’une solution amiable du litige et n’envisagent qu’une décision du juge.
Bien sûr, la mise en état avant saisine du juge suppose que les parties se mettent d’accord pour y recourir (c’est le cas déjà pour la procédure participative).
L’expérience montre qu’en matière de choix d’une procédure plutôt qu’une autre, dès lors que le justiciable s’adresse à un avocat il lui fait confiance pour ce choix. Le nombre de cas dans lesquels cette mise en état pourrait être choisie est assez grand pour que le projet de la CNA mérite d’être inscrit dans le code de procédure civile.
3 – Description sommaire de la mise en état conventionnelle avant saisine du juge :
3.1 – La convention initiale :
Soit après une mise en demeure d’avocat provoquant l’établissement d’un rapport entre les avocats des parties, soit parce que le rapport est déjà établi (cas fréquent d’une vaine tentative de transaction), le premier acte sera une convention écrite entre parties assistées d’un avocat.
Le projet prévoit que les parties pourront encore opter pour cette mise en état conventionnelle si une instance au fond est engagée mais avant mise en état. Le juge saisi surseoira à statuer jusqu’à la fin de cette procédure conventionnelle.
Cette convention initiale contiendra ce que doit contenir une citation en justice et aussi la désignation d’un avocat pour chaque partie et élection de domicile à son cabinet ainsi que le calendrier de la mise en état (que des avenants pourront amender).
Elle rappellera en caractères apparents :
la désignation de la juridiction judiciaire qui sera saisie pour statuer sauf transaction.
que la partie qui ne respecterait par le calendrier des échanges entre avocats s’exposerait à ce qu’il soit statué contre elle sur les seuls éléments fournis dans le respect de ce calendrier
que la signature de la convention initiale emporte renonciation par les parties aux fins de non-recevoir
que les principes directeurs du procès s’appliqueront à cette convention et ses suites
que tous délais de prescription seront interrompus par la signature de la convention initiale jusqu’à quatre mois après la dernière date du calendrier.
3.2 – La mise en état sans incident :
Les parties pourront, par un acte d’avocat constituant un acte de la procédure, décider une mesure d’instruction et prévoir ce que prévoirait le juge pour ce faire. Elles pourront de même décider de mesures provisoires. Ces actes requerront l’accord des parties à défaut duquel un recours exceptionnel au juge sera permis.
Dans ses dernières conclusions, chaque partie devra reprendre ses prétentions et moyens puisque c’est sur elles que statuera le juge.
Tous les échanges imposés par la convention initiale seront officiels. Cela n’empêchera évidemment pas des tentatives confidentielles d’accord amiable comme dans une procédure judiciaire en cours.
Le changement d’avocat ne sera rendu effectif que par la notification que le nouvel avocat en fera aux avocats des autres parties et le calendrier fixé dans la convention initiale n’en sera pas affecté sauf accord entre toutes les parties.
3.3 – Recours exceptionnel au juge pendant la mise en état :
Les demandes au juge pourront être faites pendant la mise en état conventionnelle pour régler certaines difficultés ou autoriser des mesures conservatoires.
L’interruption du calendrier fixé dans la convention initiale sera régie par les dispositions des articles 369 à 376 du code de procédure civile.
3.4 – Présentation devant le juge à l’issue de la mise en état conventionnelle, sauf transaction :
En cas de solution amiable, la convention transactionnelle devra être signée par elles et leurs avocats sous la forme d’un acte d’avocat. Cette convention finale pourra prévoir qu’elle sera revêtue de la formule exécutoire apposée à la requête de la partie la plus diligente par le greffe de la juridiction judiciaire désignée dans la convention initiale. Une modification de l’article 710-1 du Code civil devra permettre la publicité foncière des dispositions de la transaction que la loi soumet à cette publicité.
Sauf convention mettant amiablement fin au litige, le tribunal sera saisi soit par requête conjointe conforme à l’article 57 du Code de procédure civile, soit par requête de la partie la plus diligente.
La requête qui saisit le juge devra être accompagnée, à peine d’irrecevabilité, d’une copie de la convention initiale et de tous avenants à celle-ci ainsi que des copies des dernières conclusions et des pièces des parties que ces conclusions visent sous bordereaux.
L’affaire sera réputée en état d’être jugée dès lors que la durée du calendrier aura expiré.
Le président de la juridiction renverra l’affaire à une audience dont il fixera le lieu, la date et l’heure pour qu’il soit statué au fond. Les parties seront tenues de s’y faire assister par un avocat. La convocation sera valablement adressée au dernier avocat d’une partie l’ayant assistée dans la procédure conventionnelle si un autre avocat n’a pas été désigné.
Le juge devra rendre sa décision et la mettre à la disposition des parties au greffe dans les deux mois de sa saisine et au plus tard quinze jours après l’audience.
Dans le cas, et seulement dans ce cas, de moyens que le juge doit soulever d’office, le juge usera des pouvoirs prévus à l’article 761. Dans ce même cas, le délai de deux mois ci-dessus sera allongé d’un mois.
Il sera statué sur les dépens conformément au chapitre 1er du titre XVIII du Livre 1er du Code de procédure civile.
Les règles de procédure non contredites par les règles de la procédure conventionnelle de mise en état avant saisine du juge seront applicables à l’instance devant le juge.
III – QUAND LE CONFLIT EST RESOLU SANS JUGE
A – PLUS DE MARD, MOINS DE JUGES ET PLUS D’AVOCATS
Le rapport GUINCHARD l’a rappelé (p. 32) : il convient de « satisfaire aux exigences des engagements internationaux de la France, notamment quant aux garanties d’une bonne justice que chaque État doit aux justiciables – garantie du droit effectif à un juge, garantie d’un « bon » juge (indépendant et impartial, soucieux de l’équilibre des intérêts en présence et assurant l’égalité des armes entre les parties) et garantie du droit à l’exécution de la décision du juge ».
Les modes alternatifs ne doivent pas être des moyens d’échapper à ces engagements.
Comme ils entreront pour une part croissante dans les procédés de résolution des différends, il faut en faire des procédures constituant avec les procédures suivies devant le juge un seul ensemble avec des règles communes garantissant l’égalité des moyens, l’équité des solutions et le respect des grands principes de l’état de droit. Cet ensemble de procédures civiles doit être entièrement réglementé dans le Code de procédure civile comme c’est déjà en très grande partie le cas.
Beaucoup de bonnes choses sont dites dans le projet du CNB. Ne proposons cependant pas nous-mêmes de sanctionner un avocat qui n’aurait pas informé son client de la possibilité d’une médiation (p. 10 du projet CNB). Evitons d’appeler l’avocat « conseil » dans un environnement où beaucoup emploient ce terme même et surtout quand ils prétendent se mettre à notre place pour la résolution des litiges.
Si tout avocat est conseil, tout conseil n’est pas avocat et nous devons, et impérativement en ce domaine, revendiquer notre titre d’avocat qui signifie que nous exerçons une profession réglementée soumise à des règles déontologiques du Barreau, règles d’indépendance et de refus du conflit d’intérêts, de compétence et formation continue, de respect du secret professionnel et de loyauté dans le processus de règlement des litiges.
Les procédures amiables sont une chose, les procédures judiciaires sont une autre. Mal les distinguer, imposer l’une avant l’autre ou l’imposer tout court fait souvent manquer le but de l’une et l’autre : la bonne solution du conflit. Soyons attentifs à la qualité de la solution.
A la différence des jugements et sentences arbitrales, qui font trancher entre les parties par un tiers juge qui doit appliquer strictement la loi (avec une nuance pour l’arbitrage en équité), la conciliation et la médiation ont pour but un contrat dans lequel les parties abandonnent des droits.
Leur consentement est vicié s’ils abandonnent des droits par ignorance de ceux-ci.
L’avocat compétent, indépendant et tenu au respect d’une déontologie sanctionnée disciplinairement, garantit que l’information et le conseil dus pour éviter cette ignorance seront exempts de réticence et d’erreur.
Il faut donc bien mettre les modes alternatifs de règlement des conflits à leur place, d’autant plus qu’ils seront utilisés pour régler un nombre croissant de conflits.
L’on doit désormais les considérer non comme des accessoires utiles mais comme des procédures normales dans un paysage judiciaire nouveau, les avocats doivent être mis au centre pour compenser l’éloignement progressif du juge.
Contre la constatation de cet éloignement, on vante le droit de saisir le juge en dernier recours. L’effectivité de ce droit restera souvent théorique. Notamment, l’instauration de préalables de médiation ou conciliation a pour but le barrage à l’entrée des palais de justice.
Moins il y a de juge plus il faut d’avocats. Les avocats ne sont pas de simples auxiliaires de justice, ils sont des acteurs de la justice. Les moyens alternatifs rendent nécessaire de leur faire jouer leur rôle de spécialistes du règlement des conflits respectueux de l’état de droit et du lien social.
Le Barreau ne doit surtout pas bouder les modes alternatifs. Il doit en revanche condamner les formes de déjudiciarisation qui ne respectent guère que des calculs budgétaires et, bien souvent aussi, des ambitions politiques locales.
Il doit prendre la tête de la promotion des MARC en exigeant de poser pour eux le principe de l’assistance obligatoire par un avocat.
Les conditions que poseront les avocats sont alors d’intérêt général.
Doivent rester des modèles l’article 1528 du Code de procédure civile qui dispose que le recours à la médiation, la conciliation conventionnelle et la procédure participative ne doit résulter que de l’initiative des parties à un différend et l’article 131-1 qui suspend à l’accord des parties la désignation d’un médiateur par le juge en cours d’instance.
Les MARC doivent être organisés pour respecter l’égalité des citoyens, rendre effectif l’exercice de leurs droits. Il faut pour cela les informer et les conseiller avec compétence, indépendance et impartialité. Qui mieux que les avocats assureront cette mission ? Le professionnel de la résolution des conflits est l’avocat. Sa déontologie lui impose d’être indépendant, de refuser d’être en conflit d’intérêts, de garder le secret de la confidence obligée de celui qu’il assiste.
Le besoin de défenseurs indépendants et compétents croît dans nos sociétés.
Le rapport d’une enquête d’opinion récente commandée par le CNB montre que dans cette catégorie fragile et très importante pour notre économie que sont les PME, on fait confiance aux avocats pour les conseiller et les assister pour la résolution des conflits.
IPSOS interrogeait sur les pratiques, les appréciations et les intentions des décideurs des PME dans l’hypothèse de résolution des conflits par d’autres moyens que le recours au juge et, parmi les entreprises qui envisagent un MARC pour un conflit, 74 % se feraient assister par un avocat.
Par ailleurs, les avocats sont en tête de la grande variété des professionnels nommés par les décideurs interrogés pour être médiateurs et arbitres.
En France comme ailleurs, la tendance est au renvoi des justiciables à d’autres modes de résolution des conflits que la décision du juge. La procédure devant les instances judiciaires devenant une catégorie des modes de résolution des conflits, il est rassurant pour l’état de droit et pour le Barreau de constater qu’on fait confiance aux avocats pour les modes alternatifs.
Cette confiance est une expression du besoin de qualité et de sécurité.
Ce besoin commande d’édicter une réglementation procédurale des MARC garantissant, autant que le recours au juge, que justice sera équitablement rendue à chacun. Pour que cette garantie soit effective, l’assistance par un non-avocat ne peut être qu’une dérogation au principe. L’assistance par avocat doit absolument être posée comme principe dans une nouvelle réglementation commune des modes alternatifs.
Moins il y a de contrôle par des juges plus il faut d’assistance par des avocats. Les justiciables les mieux informés et expérimentés le savent. Il faut le faire savoir à tous. C’est une tâche urgente qui attend toutes les organisations de la profession et tous les avocats sur le terrain.
B – L’AIDE JURIDICTIONNELLE
Madame le Bâtonnier Brigitte MARSIGNY, Président d’Honneur de la CNA, a écrit l’essentiel sur le sujet et l’action doit suivre.
Le renvoi de la question à une mission (une de plus) CARRE-PIERRAT doit non pas laisser la profession en attente mais mobiliser le Barreau pour que son expérience sur le terrain soit un des fondamentaux de la décision et pour que ses justes intérêts soient enfin pris en compte.
Le projet de rapport présenté le 26 octobre 2013 à l’AG du CNB explore la piste d’une taxe légère car appliquée à une base large. La CNA l’approuve.
Ce ne peut pas être la seule voie.
Il faut éviter de confondre le financement de l’AJ, le régime de l’article 700 du Code de procédure civile (et les articles homologues des autres codes de procédure) et l’article 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, notamment à l’occasion de l’amélioration de ce dernier article.
La CNA a travaillé beaucoup, avec des associations de spécialistes de la procédure, sur l’article 700 et des modalités de tarifs en même temps que sur la liberté de l’honoraire et le libre choix de l’avocat. Elle est prête à participer aux débats qui s’annoncent.
BREVE CONCLUSION EN ATTENDANT
La globalisation des échanges met chacun en contact avec tous, le nombre de biens et services consommés augmente et, de façon décisive, les lois, pour adapter l’état de droit à ces mouvements, ajoutent des droits aux droits déjà octroyés aux citoyens. Il en résulte que, comme jamais, aujourd’hui se sont multipliées les situations de conflit d’intérêts et les occasions de litige. Plus qu’à aucune époque précédente l’application du droit (il faudrait dire maintenant « des droits ») exige une expertise en droit.
Les merveilleux moyens d’accès au droit que procure l’Internet pour tous ne dispenseront jamais de recourir à un défenseur indépendant, compétent et expérimenté.
Si donc la décision du juge ne doit plus être la seule façon – ni même la principale – de rendre justice, il faut constituer d’urgence un ensemble unique et cohérent des « modes de résolution des conflits » comprenant les procédures devant les juridictions ainsi que tous les autres modes de résolution des conflits.
L’assistance obligatoire par un avocat doit être le principe pour tous ces modes.
C’est à ce prix que l’état de droit sera sauvegardé, pour la croissance économique fondée sur la confiance et pour la protection des libertés, et que justice sera rendue autant aux faibles qu’aux puissants.
Pour la CONFEDERATION NATIONALE DES AVOCATS (CNA)
Vincent BERTHAT, Président d’Honneur
Membre du CNB.