« La Carte et le Territoire ou la réforme poker de la carte judiciaire »
HISTORIQUE :
Les prémices :
En 1958, l’organisation judiciaire française était entièrement revue tant au plan horizontal que vertical.
Horizontalement, l’implantation des juridictions en fonction de leur nature était révisée.
Verticalement, la distinction de Juge de paix et du Tribunal de Première Instance était modifiée en Tribunal d’Instance et Tribunal de Grande Instance.
Le 30 juillet 1999, seulement une timide réforme ne touchait que 36 Tribunaux de Commerce supprimés.
L’on peut donc considérer que depuis plus d’un siècle, l’organisation des 1200 et quelques juridictions était immuable malgré ces changements.
Toutefois, déjà en 1998, conscient du problème de l’implantation et de la disparité des effectifs et du nombre d’affaires que connaissaient les juridictions, les pouvoirs publics nommaient un délégué à la réforme de la carte judiciaire auprès de la direction des services judiciaires.
Rien ne se passait jusqu’à :
LA REFORME :
Le tremblement de terre :
En 2007, la Garde des Sceaux de l’époque brisait la non-inertie pour regrouper les juridictions et en spécialiser d’autres.
Après la création d’un processus de concertation, une seule réunion avait lieu sur le sujet, non pas sans doute en raison d’un consensus, mais d’un dissensus tel que la Ministre reprenait la main de manière autoritaire.
C’est ainsi que les décrets 2008-145 du 15 février 2008 et 2008-1110 du 30 octobre 2008, le second abrogeant le premier, suivis des huit autres décrets ont eu trait aux Tribunaux de Grande Instance, Tribunaux d’Instance, Juges de proximité et Greffes détachés.
C’est ainsi par ailleurs que les décrets 2008-146 du 15 février 2008 et 2008-1629 du 23 décembre 2009 ont été relatifs aux Tribunaux de Commerce.
Deux décrets ont été relatifs aux Conseils des Prud’hommes, huit autres à d’autres juridictions.
Au titre de l’accompagnement social des personnels et d’indemnisation des avocats établis auprès des juridictions supprimées, plusieurs décrets ont également été promulgués.
C’était le maigre prix de la mobilité forcée éminemment plus préjudiciable pour un professionnel libéral ainsi éloigné de sa clientèle.
Le résultat était d’abaisser de 1206 à 819 le nombre des juridictions d’après le Ministère de la Justice est de créer 14 juridictions en en supprimant 401.
Le Conseil d’Etat a annulé sur recours la suppression du Tribunal de Grande Instance de Moulins.
Par ailleurs, les Tribunaux de Bourgoin-Jallieu et Vienne (Isère) ont été regroupés à effet de 2014 en attendant la création d’un Tribunal de Grande Instance à Villefontaine ; les Tribunaux de Millau et Belley avaient fermé par anticipation en 2009 et ceux de Péronne et Bressuire en 2010.
C’est ainsi que 17 Tribunaux de Grande Instance ont fermé le 31 décembre 2010.
Cela a entraîné aussi un bouleversement de l’immobilier, car très souvent les tribunaux supprimés étaient gracieusement logés par les collectivités locales et il a fallu réaliser 12 opérations de construction, de réhabilitation ou d’extension à la charge de l’Agence Publique pour l’Immobilier de la Justice, c’est-à-dire de l’Etat.
Les répliques :
Une secousse d’une telle ampleur, bien que mesurée car ne touchant aucune Cour d’Appel, ni ne remettant en cause la pyramide des Tribunaux d’Instance avec leurs Juges de proximité supprimés puis prolongés à 2015 et des Tribunaux de Grande Instance, entraîne forcément des répliques.
D’une part, le Parlement s’est chargé de l’évaluation de l’efficacité de cette réforme.
D’autre part, l’évaluation de celle-ci a été faite par les acteurs de la justice, magistrats, avocats et greffe.
Et enfin, une évaluation sur huit tribunaux a été faite à la requête du Ministère.
La réplique générale :
Le Sénat a, par deux membres de sa Commission des lois, établi un rapport d’informations œcuménique (un communiste, un membre de l’Union Centriste et Républicaine).
Ce rapport traite de la réforme de la carte, de son impact sur les territoires et les personnels, du coût de la réforme et présente un bilan contrasté.
Positivement, il note une rationalisation du fonctionnement de certaines juridictions, la disparition d’implantation qui n’avait plus lieu d’être.
Il note également l’amélioration sensible des conditions d’installation de certaines juridictions, sous réserve de l’augmentation des coûts vu la perte de gratuité.
Négativement, il regrette l’abandon des audiences foraines prévues pour des raisons pratiques, la création de très peu de Maisons de Justice, et donc la désertification des territoires abandonnés.
Il regrette l’objectif purement comptable de la réforme.
Il regrette également qu’elle se soit traduite par une suppression nette des postes de magistrats et de greffiers, à rebours des besoins.
Il constate un éloignement accru des justiciables malgré les difficultés propres à certains territoires par défaillance des transports publics, importance des distances ou conditions climatiques.
Enfin, il estime qu’il y a dégradation de traitement de la durée des dossiers, certainement à titre temporaire, mais probablement de manière durable.
De manière neutre, le rapport constate du fait de la suppression des juridictions une baisse manifeste des membres de justice dans certains territoires comme la Haute-Loire.
Il déplore la perte des services publics aggravée par la perte des tribunaux.
Le rapport conclut en faisant des propositions :
Tout en constatant que le chantier de la réforme de la carte judiciaire est encore ouvert, il préconise d’abord une pause et propose pour l’avenir :
· Que le Parlement soit saisi pour dessiner les grands principes d’une réforme (quand on sait le rôle des élus dans l’immobilisme, on pense à un enterrement après le tremblement).
· Que soient apportées certaines amodiations à la réforme pour remédier au dysfonctionnement, réimplanter certaines juridictions (lesquelles ? Mais pourquoi pas ?).
· Que soient développées des audiences foraines (c’est souhaitable pour les territoires, mais avec quel personnel qu’il faudra convaincre, quel argent pour les dédommager et dans quels locaux ?).
· Que soient menées les réformes des Cours d’Appel (le non-dit concerne en fait la suppression des trop petites Cours et le regroupement de manière possible par région.
· Que soit conduite une réflexion sur la proximité judiciaire et sur l’organisation qui en découle (si l’avocat était obligatoire devant toutes les juridictions avec un bon accès au droit digne d’une grande nation, le problème serait résolu).
Au sujet de cette réflexion, il préconise la création du Guichet Unique de Greffe (l’expérience a été faite à la direction générale des finances publiques).
Il préconise enfin le regroupement des Tribunaux d’Instance et Tribunaux de Grande Instance en Tribunaux de Première Instance comme avant le Général de Gaulle (mais avec quelle représentation des justiciables : obligatoire, facultative, par matière ?).
La réplique partielle :
La Chancellerie a agi a minima (continuité de l’Etat ou occupation par d’autres chantiers ?) en confiant une mission présidée par Monsieur Serge DAËL, Conseiller d’Etat Honoraire et Président de la Commission d’Accès aux Documents Administratifs pour évaluer la situation de huit communes dont les Tribunaux de Grande Instance ont été fermés : Millau, Saint-Gaudens, Saumur, Dôle, Tulle, Belley, Guingamp et Marmande.
La mission était de faire des propositions concrètes, soit de réimplantation d’un Tribunal de Grande Instance, soit d’aménagement d’autres infrastructures.
La mission a fait beaucoup d’auditions, ce qui a dû être un grand plaisir compte tenu des positions contrastées des uns et des autres.
A Millau, le Bâtonnier et le Maire sont montés au créneau pour établir la juridiction, le Syndicat de la Magistrature a manifesté son opposition (mobilité aller oui, mais mobilité retour non : et l’intérêt des justiciables ?).
A Belley, les élus sont pour, mais le Bâtonnier et les Avocats contre, car leur clientèle s’est élargie.
Il n’y a plus que deux ou trois avocats à Saint-Gaudens, les autres sont rétablis à Toulouse (reviendront-ils ?).
Pour Tulle, il vaut mieux gazer…
Le 19 février, Monsieur DAËL rencontrait Madame le Ministre de la Justice à l’occasion de la remise de son rapport.
Celui-ci a fait le même constat (en moins négatif ?) que les rapporteurs du Sénat en insistant sur le bénéfice dû à de meilleures conditions de travail et en soulignant que certaines juridictions avaient atteint des seuils bas critiques d’activité.
Il préconise sauf à Belley des Chambres détachées pour le contentieux de proximité actuellement confié aux Tribunaux d’Instance préfigurant les futurs Tribunaux de Première Instance avec des Chambres détachées.
Elles auront le territoire des Tribunaux de Grande Instance supprimés.
Pour Belley, un Guichet Unique de Greffe avec liaison électronique avec le Tribunal de Bourg-en-Bresse et visio-conférence est conseillé.
Mais, le rapport prédit que rien ne se fera sans dialogue social complet avec tous les acteurs : magistrats, greffiers et avocats ni sans moyens adéquats pour réaliser une réforme.
CONCLUSION :
Qu’en restera-t-il ?
Ces différents rapports donneront-ils l’occasion de rebattre les cartes d’une organisation géographique et hiérarchique du judiciaire français ?
Sûrement pas, puisque le territoire de la mission était limité pour la seconde et le pouvoir de la mission parlementaire l’était aussi.
Il faut cependant solliciter que ce soit d’initiative parlementaire ou professionnelle l’ouverture et la mise sur pied rapide de grands Etats Généraux de la Justice afin d’engager une réflexion et aboutir à des propositions concrètes relatives à l’organisation judiciaire de la France, à la simplification des procédures, à l’accès à la Justice et au Droit sans oublier les besoins en personnels judiciaires, en matériels électroniques et de visio-conférences au civil, et la nécessaire augmentation sensible de capacité des transmissions par le Réseau Privé Virtuel Justice actuellement trop limité.
Dans la profession d’avocat, les réseaux, avec en tête EUROJURIS FRANCE qui s’est manifesté lors de la réforme, ont une carte importante à jouer tant il est vrai qu’ils occupent tout le territoire.
Marseille, le 2 mai 2013.
Alain PROVANSAL
Avocat au Barreau de Marseille
SELARL PROVANSAL D’JOURNO GUILLET
Membre du Comité Directeur.