Mission PRADA
MISSION PRADA
Quand Mme. Christine LAGARDE et Mme. Michèle ALLIOT-MARIE, ministres des finances et de la justice, ont donné mission, en octobre 2010, à M. Michel PRADA, président du Conseil de normalisation des comptes publics, inspecteur général des finances, de faire des propositions pour la création d’un statut d’avocat en entreprise (la lettre de mission est moins explicite mais la demande est claire), on s’est attendu à un rapport conforme. Le rapport PRADA daté du 30 mars 2011 (accessible depuis le milieu d’avril) est conforme.
L’avocat en entreprise y est imposé bien que les chefs d’entreprises y soient hostiles (problème d’embauche), bien que les obstacles soient tels que cet avocat ne pourrait pas être soumis aux mêmes règles que nous et porterait le nom de notre profession sans pouvoir l’exercer et en dépit d’incertitudes sur la compatibilité avec le droit européen. Il paraît que les français raisonnent. Ils peuvent se montrer déraisonnables.
Pour la mission, un autre inspecteur général des finances et deux magistrats chefs de bureau à la Chancellerie avaient rejoint M. PRADA. La liste des avocats entendus par elle est longue mais ont y cherche des avocats hostiles au projet. Des représentants de deux syndicats d’avocats favorables ont été entendus : les présidents et sept autres membres de la FNUJA, le président et un autre membre de l’ACE. Les syndicats d’avis contraire n’ont pas été conviés. Serait-ce que seuls lisent notre avenir les jeunes et les avocats d’affaires ? Les jeunes sont-ils tous avocats d’affaires et les avocats d’affaires sont-ils tous jeunes ?
Elevons le débat au-dessus de cela. Ces divisions excluent. Le choix d’exclure et l’acceptation de ce choix sont détestables. La valeur et le nombre des jeunes avocats sont notre espoir, les cabinets d’affaires portent heureusement nos couleurs dans la compétition qui est mondiale et si parmi plus de 50 000 avocats français il n’y a pas que des jeunes avocats d’affaires, notre barreau se donnera les moyens de la performance de tous en reconnaissant et organisant sa riche diversité.
Le rapport PRADA passe en revue des problèmes qu’on rencontre en élevant le débat au bon niveau mais ne saisit pas les outils pour leur résolution. La justification de la réponse souhaitée est en substance : ce qui éloigne notre système français des règles applicables aux avocats et juristes des USA et du Royaume-Uni est mauvais. La mission n’a pratiquement de repères et d’exemples à imiter qu’aux USA et au Royaume-Uni, qualifiés de « principaux partenaires » économiques de la France. Les nostalgiques de l’époque du Plan Marshall seront contents, les statistiques imposent toutefois une mise à jour.
Désolante anglomanie. Nous qui sommes attentifs aux liens de la France avec les pays d’Europe Continentale, qui savons que nous exportons bien moins aux USA et en Angleterre qu’en Allemagne, au Bénélux et en Italie, qui voyons émerger des pays comme la Chine et l’Inde, nous refusons de nous embarquer comme soutiers du navire anglo-saxon. Bien à tort, le rapport PRADA traite par prétérition les cultures et les structures de l’Europe continentale. Notre civilisation et, pour ce qui concerne spécialement les avocats, le droit que nous pratiquons et les valeurs qui le fondent méritent et commandent que nous les défendions et que nous les donnions en exemple face au modèle anglo-saxon.
Le rapport PRADA vante l’avocat en entreprise comme une contribution à la constitution de la grande profession du droit en France. C’est un peu tard. Même le président du CNB, dans un article cosigné avec le professeur Jamin (dans la revue Commentaires, n° 132, hiver 2010-2011), a constaté son échec dû notamment à l’absence de périmètre du droit en France.
Les généralités affirmées pour présenter un modèle anglo-saxon très schématisé ignorent des complexités et flexibilités propres au monde anglo-saxon qui obligent à des nuances et réserves. Spécialement, parce que le legal privilege a pour fondement de protéger l’accès du client à la justice en lui permettant de confier à son conseil ses secrets sans crainte de leur divulgation, certaines lois d’états des Etats-Unis ne protègent les communications des attoreneys at law que si elles révèlent des communications du client.
Le rapport traduit un évident embarras quand il s’agit de l’indépendance de l’avocat. Il s’en tire (fort mal) en énonçant que « l’indépendance est moins une question statutaire qu’un trait de caractère », en comparant avec la situation de l’avocat salarié d’un cabinet, en confondant l’indépendance de l’avocat et celle du notaire ou du greffier de tribunal de commerce. Evoquant la crainte que perdure et s’étende la jurisprudence AKZO NOBEL (arrêt du 14 septembre 2010 AKZO NOBEL, aff. C-550/07) qui pose que n’est pas indépendant un avocat inscrit « lié au client par un rapport d’emploi », le rapport conclut qu’il faudrait négocier une directive édictant de nouvelles règles, en clair qui limiterait la confidentialité des échanges entre les avocats et leurs clients pour permettre de l’étendre aux avocats en entreprise.
Le rapport, qui vante l’avantage d’associer aux comités de direction des entreprises les juristes d’entreprise devenus avocats, bute à nouveau sur la jurisprudence de la CJUE qui voit justement dans la participation de l’avocat d’entreprise à la définition de la politique de l’employeur un obstacle à l’indépendance exigée pour conférer le legal privilege (point 48 de l’arrêt AKZO NOBEL).
Le rapport PRADA propose que les avocats soient inscrits sur une liste ad hoc. On le voit, le projet est de créer une nouvelle profession en lui donnant le nom d’avocat que porteront des mandataires sportifs, des ingénieurs en brevet, etc. A quoi va servir la définition de l’avocat adoptée récemment par le CNB ? Comble de confusion, un prétendu accord entre les professions a permis que la loi de modernisation des professions du 28 mars 2011 autorise les comptables à faire du droit. Le nom d’avocat porté par des professionnels faisant autre chose que du droit, des comptables faisant du droit, qui pourrait savoir ce qu’est un avocat ?
La CNA ne se joint pas à la déploration par le rapport PRADA de l’obligation pour les entreprises de recourir à des avocats externes pour conserver des secrets en cas d’investigations administratives et de procédures de discovery. A la proposition du rapport PRADA, la CNA (et bien d’autres en France) oppose d’étendre le modèle continental qui identifie l’avocat par son appartenance à une profession ayant un même fondement dans la société et de renforcer par des moyens compatibles la place du droit et le positionnement des juristes dans les entreprises pour qu’elles tirent l’entier bénéfice de l’importance stratégique du droit.
Pour la place du droit, la proposition de la CNA de l’audit juridique fait heureusement son chemin. Ne pas en changer l’appellation, qui entre utilement en résonnance avec l’audit comptable et économique, serait utile et rendrait un hommage mérité à celui qui l’a conçu et mis en forme sous cette appellation.
La CNA propose de promouvoir les juristes d’entreprise de plusieurs façons convergentes.
Elle propose de tenir compte (notamment dans les conventions collectives) du diplôme d’avocat et de l’expérience acquise comme avocat, ce qui rehausserait utilement le statut des diplômés expérimentés et les pousserait naturellement dans les équipes dirigeantes.
Favorable aux passerelles entre la profession d’avocat à celle de juriste d’entreprise, la CNA est en même temps favorable à la reconnaissance de l’expérience acquise comme juriste d’entreprise. Elle demande corolairement d’inciter et aider à entrer plus tôt dans les deux professions et de systématiser des cursus communs de formation. Point particulier mais non mineur, la CNA propose de réduire le nombre d’années de cotisations à la CNBF n’ouvrant droit à aucun versement de retraite d’avocat à celui qui a quitté le barreau, ce qui serait justice. Cette révision serait l’occasion d’autres mesures de justice qui équilibreraient le système de retraite cher à notre syndicat qui l’a fondé.
L’aléatoire projet de l’avocat en entreprise, qui ne convainc pas les employeurs qu’on leur promet, nous détourne depuis trop longtemps de ce qu’il est urgent de faire dans notre pays pour le droit dans les entreprises et les juristes d’entreprises.
Paris, le 30 avril 2011
Vincent BERTHAT
Président