Article Me Vincent BERTHAT, Président de la CNA, 4 mai 2010

L'Assemblée Nationale autorise les experts comptables à faire du droit à titre principal !

Dies irae

Oui jour de colère le 4 mai 2010 et chaque jour jusqu’à ce que le Sénat répare la faute commise. Non, pas un jour fameux. Le monde en cendres ? tout de même pas mais c’est grave.

Le 4 mai, l’Assemblée Nationale a adopté le projet de loi n° 1889 dont l’article 13 quater autorise les experts-comptables (et les associations de gestion et de comptabilité) à faire des prestations juridiques même non accessoires à la tenue des comptes.

Certes, l’autorisation est limitée à « conseiller et assister les entrepreneurs relevant du régime des micro-entreprises ou du forfait agricole dans toute démarche à finalité administrative, sociale et fiscale. ». Mais pourquoi, après ce grand pas, arrêter la marche ? Lisez les modifications successives de l’ordonnance de 1945 organisant la profession d’expert-comptable, lisez le code de déontologie de 2007, lisez les articles 13 à 13 quinquies du projet 1889 transmis le 4 mai au Sénat,  vous constaterez que la profession comptable avance pour absorber la partie rémunératrice du juridique.

Le mélange des genres est aussi en marche. Le 12 mai 2010 devant la Commission de l’économie du Sénat, M. Hervé Novelli, secrétaire d’Etat, a résumé : « S’agissant des experts-comptables, le texte assouplit les règles relatives à la détention de capital et de droits de vote dans les sociétés, permet à ces professionnels d’exercer à titre accessoire une activité commerciale, les autorise à détenir un mandat social dans une société, un groupe ou une association et à conseiller les micro-entreprises ».

C’est aux politiques français qu’il faut en vouloir, pas à la profession comptable.

En séance à l’Assemblée Nationale le 28 avril, M. Hervé Novelli a fait repousser l’amendement de suppression de l’article 13 quater. Il l’a fait en déplorant que la loi lie l’intervention des experts-comptables en matière juridique à l’existence d’une mission comptable et en expliquant que, cette mission comptable n’existant pas pour les entrepreneurs aux obligations comptables allégées, il faut leur donner « la possibilité de demander de l’aide dans ce domaine à un expert-comptable ».

Quand M. Novelli proposera-t-il que des comptables de nos cabinets d’avocats puissent tenir les comptes de nos clients ? Quand un ministre de la justice dira-t-il qu’un avocat peut dresser un acte à publier au fichier immobilier ? On a envisagé sérieusement de donner au notariat un divorce, la saisie immobilière (à qui le tour ensuite ?), on donne le juridique aux experts-comptables, jamais l’inverse.

L’idée de « grande profession » a fait long feu. C’est la profession congrue d’avocat que nos gouvernants nous préparent.

Une fois de plus, les prestations juridiques pour les plus faibles (après les consommateurs, les micro-entrepreneurs et les petits agriculteurs) seraient confiées à des non-professionnels du droit, comme si la loi était plus facile pour eux ou comme si leur faiblesse justifiait leur discrimination.

Il n’y a que de mauvais motifs de priver les entreprises les plus vulnérables des prestations juridiques des avocats qui sont des juristes, qui sont soumis à des obligations de compétence et de responsabilité et qui sont obligés au respect de règles déontologiques garantissant à leurs clients qu’ils n’auront pas le même prestataire qu’un concurrent ou un adversaire et que leurs secrets seront gardés.

Il n’y a que de mauvais motifs d’affaiblir encore la profession d’avocat à laquelle par ailleurs l’Etat demande d’assumer une aide juridictionnelle et des commissions d’office pour l’accès des plus démunis à la Justice et pour le bon fonctionnement de celle-ci qui pèsent structurellement et financièrement sur le Barreau.

Le sens de l’équité et de l’équilibre est ce qu’on attend du législateur. Il lui commande de ne pas permettre le dépeçage du Barreau de son pays, encore moins y procéder lui-même.

A ne considérer que la moyenne du chiffre d’affaires du Barreau, alors que 20 % de ses membres en perçoit 80 %, on s’aveugle sur la capacité de l’immense majorité des avocats français de survivre à la succession des coups portés par la carte judiciaire, par le partage sans jamais de réciprocité de son domaine d’activités, par la multiplication des obligations pour décharger l’appareil judiciaire, etc.

Le jour où le Barreau ne serait plus qu’un Barreau d’affaires, ce ne sont pas les experts-comptables et les notaires qui les remplaceront auprès des particuliers et des entreprises petites et moyennes sur notre territoire national vaste et souvent peu peuplé mal desservi.

Pour servir en prestations juridiques et judiciaires ces particuliers et entreprises souvent éloignés des centres urbanisés il faudra un Barreau qu’on aura encouragé à la compétence et la performance et non des avocats repoussés aux marges non solvables du marché du droit.

Les propositions de la    CNA pour que la profession prenne en main sa compétence et sa performance privilégient ce qui favorise une activité économiquement équilibrée du plus grand nombre de cabinets au service de notre pays. Les projets dont celui que je dénonce ici vont dans le mauvais sens. L’exemple du manque de médecins généralistes (qui a des causes différentes, on ne l’ignore pas) doit faire réfléchir.

La CNA veut qu’enfin le Barreau et les autres professions s’accordent pour additionner  nos compétences et nos ardeurs pour bien servir. Les projets successifs jetés comme des brûlots entre nous pour nous opposer sont haïssables. Ensemble, les responsables des professions doivent s’élever au-dessus des petits gains d’aujourd’hui qu’il sera reproché à tous d’avoir préféré au service de nos concitoyens. L’UNAPL, chère au cœur de la CNA, peut être un lieu privilégié de cette concertation constructive.

Le CNB a engagé une campagne nationale via nos Ordres, nous l’approuvons. Nos institutions parlent poliment aux autorités mais, dans l’urgence présente, nos syndicats doivent pousser fort le cri d’alarme.

D’autres syndicats d’avocat ont protesté. Quand la profession est unie, elle peut gagner. L’alliance de tous les syndicats et de toutes les associations d’avocats est nécessaire et urgente pour empêcher un vote conforme du Sénat. Le projet 1889 voté par l’Assemblée Nationale est désormais soumis au Sénat sous le numéro 427. La Commission économique du Sénat a commencé l’examen du projet 427, elle continuera le 24 mai et le Sénat votera l’ensemble du projet du 9 au 11 juin 2010. Il n’y a pas un instant, à perdre, pas à un effort à refuser.

Ensemble, demandons aux sénateurs de rejeter l’article 13 quater du projet de loi 427.

Vincent BERTHAT,
Président de la CNA.

Lire aussi l’interview du Président Vincent BERTHAT dans ACTUEL AVOCAT, vendredi 4 juin 2010, « CNB / Experts-comptables – accord au détriment de l’Avocat » Lire l’article

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