Discours de la Présidente au 77ème congrès de la CNA à Montpellier – 12 et 13 octobre 2012

DISCOURS DE LA PRÉSIDENTE
77ème congrès de la CNA à Montpellier 
12 et 13 octobre 2012


La Confédération Nationale des Avocats existe depuis 1921, c’est le premier syndicat historique d’avocats en France.

Nos grands anciens ont fait de la profession d’avocats ce qu’elle est aujourd’hui.

Nos grands anciens ont inventé la CNBF, l’UNAPL, l’ANASED, l’UIA, la Fédération Internationale des Femmes des Carrières Juridiques et bien d’autres encore.

Ils ont été à la tête de tous les combats de la profession, Monsieur le Bâtonnier François BEDEL de BUZAREINGUE est là pour en témoigner.

Vous nous avez dit hier Monsieur le Bâtonnier que la CNA devait être plus présente lorsque les tribunaux sont supprimés et que les justiciables n’ont plus accès à la justice du fait de l’éloignement des Juridictions et vous avez raison.

Un rapport de la Commission de Sénat sur l’accès à la justice fait le bilan de la réforme de la carte judiciaire que leurs auteurs ont baptisé : « une occasion perdue ».

Occasion perdue car cette réforme a été incomplète et a laissé de côté les Cours d’Appel.

Occasion perdue car elle a éloigné les justiciables de la justice.

Occasion perdue car là où il a fallu créer de nouvelles juridictions, la justice a dû exposer de nouveaux frais en louant de nouveaux locaux là où autrefois les Tribunaux étaient abrités dans des locaux mis à disposition par les collectivités locales.

Occasion perdue car une recrudescence de frais a été exposée.

La CNA veillera à aider à faire le bilan de cette réforme et proposera des solutions pour l’améliorer.

Oui vous avez raison Monsieur le Bâtonnier BEDEL de BUZAREINGUE, oui il faut veiller à préserver l’accès à la justice pour tous et particulièrement pour les plus démunis.

Le précédent gouvernement a mis en place le timbre à 35 € pour financer l’aide juridictionnelle, mais les sommes collectées ont fait apparaître des décimales.

Il a pu être établi que ces décimales provenaient des frais prélevés par les buralistes qui déduisaient les frais générés par la vente du timbre.

Tous les justiciables n’ont pas d’avocat devant les tribunaux d’instance, les tribunaux de commerce et n’ont pas accès à la dématérialisation des procédures.

Ce timbre de 35 € remet en cause le principe selon lequel la justice doit être gratuite pour tous.

Madame le Garde des Sceaux nous a dit le 5 octobre dernier, au Palais Brongniard, lors de l’AG extraordinaire du CNB, que ce timbre serait supprimé en 2014.

Acceptons-en l’augure, car la justice doit être gratuite pour tous et la taxe ne peut qu’être une solution provisoire.

La CNA sera vigilante sur la tenue de la promesse du Ministre de la Justice.

Monsieur le Bâtonnier BEDEL de BUZAREIGUE, la profession d’avocat a changé, la France a changé – Le changement c’était déjà hier et c’est maintenant !

En 1992, les conseillers juridiques ont rejoint la profession d’avocat.

A l’époque l’avocat parisien BOCCARA, le grand spécialiste des baux commerciaux écrivait un livre intitulé : « la grande peur de 1992 » que chaque avocat de Paris a reçu à sa toque.

Les conseils juridiques nous ont apporté une autre vision de la profession, de nouvelles méthodes de travail et de comportement, d’autres règles.

Il nous est apparu que nos collaborateurs pouvaient ne pas avoir envie de nous payer parce que nous leur apprenions le métier d’avocat et qu’ils avaient des droits dont celui de vivre décemment de leur travail.

Peu à peu, l’idée même d’égalité, de sécurité de l’emploi s’est fait jour alors que le caractère libéraliste de la profession, le risque, l’aléa disparaissaient au profit d’une vision plus protectrice.

C’est alors que nous avons imaginé et accepté que nos collaborateurs soient nos salariés.

De là à vouloir que tous les avocats qui le veulent deviennent des salariés de l’entreprise, il n’y avait qu’un pas.

De là à ce que les juristes d’entreprise acquièrent nos droits, le droit et même le devoir du secret, l’indépendance, la liberté de dire non, il n’y avait qu’un pas.

C’est pourquoi aujourd’hui, nous réfléchissons pour savoir si l’avocat peut être le salarié de l’entreprise, de toutes les entreprises pour savoir si l’avocat est un salarié comme un autre, si le lien de subordination salarial subsiste, si un lien de subordination nouveau se crée entre le patron et l’avocat salarié, si l’avocat salarié pourrait être inféodé à son employeur au point d’en perdre sa liberté, son indépendance, son secret.

L’ACE, le grand syndicat ami revendique haut et fort le droit pour l’avocat au salariat entrepreneurial.

L’avocat dit « de souche », l’avocat généraliste, l’avocat spécialiste, l’avocat de tradition, l’avocat du judiciaire, l’avocat du conseil, l’avocat de la CNA se rebiffe.

Car en effet pourquoi avoir choisi le caractère libéraliste de cette profession, la part de risque qu’elle induit, la part d’aléa qu’elle entraîne pour in fine se fondre dans le moule du salariat ?

Ce moule du salariat est-il compatible avec les devoirs de l’avocat qui en découlent, avec nos principes essentiels qui se sont forgés tout au long de la vie de l’avocature depuis sa création et qui sont les corollaires obligés des nos droits à la liberté et à l’indépendance ?

L’avocat de la CNA refuse le salariat de l’avocat et sa dépendance.

L’avocat de la CNA refuse la perte de sa possibilité de dire NON.

L’avocat de la CNA veut conserver les certitudes impérieuses des principes essentiels de sa déontologie pour conserver son indépendance et sa liberté.

Si l’on veut être salarié de l’entreprise, soyons des juristes d’entreprise.

Mais l’avocat qui veut travailler dans l’entreprise sans perdre sa spécificité d’avocat peut fort bien effectuer des missions dans l’entreprise et la CNA est favorable à l’avocat missionné dans l’entreprise, sans être obligé de passer par le rouleau compresseur de la normalité du salariat.

Oui à l’avocat missionné dans l’entreprise, non à l’avocat salarié de l’entreprise.

L‘avocat doit se soumettre à une éthique exigeante, sur lui pèse le devoir de compétence, le devoir de se former de façon continue tout au long de sa vie professionnelle. Le métier d’avocat s’apprend, se travaille et ne s’improvise pas.

Un juriste, un élu qui participe à l’élaboration de la loi, un parlementaire, un attaché parlementaire peut-il devenir avocat ?

Oui à coup sûr, mais à condition qu’il possède des diplômes universitaires équivalents à ceux de l’avocat.

Oui à coup sûr, à condition qu’il maîtrise nos règles déontologiques qui sont l’essence de la profession.

La profession n’est pas frileusement recroquevillée sur elle-même. Elle est accueillante, elle se nourrit des expériences de tous. Mais elle ne peut accueillir en son sein tous les juristes qui ne sont pas formés à ses règles déontologiques.

C’est pourquoi, la CNA est opposée au Décret Passerelle dont elle demande expressément l’abrogation. On n’est pas avocat automatiquement par le seul fait d’avoir participé à l’élaboration de la loi, de près ou de loin. On le devient en apprenant nos règles déontologiques, en apprenant cette éthique exigeante qui fait notre spécificité.

La profession d’avocat ne peut devenir le réceptacle des équipes ministérielles et parlementaires, sans condition d’admission.

Madame le Bâtonnier de Paris a fort opportunément rappelé que chaque barreau était maître de son tableau.

Mais la profession d’avocat est accueillante, nous refusons tous ou pour la plupart d’entre nous un numerus clausus qui de surcroît ne correspond plus aux exigences de notre temps.

Le Barreau français est le moins nombreux d’Europe, 55 000 avocats quand l’Allemagne en compte 130 000, l’Espagne 160 000 et l’Italie près de 200 000.

Le Barreau français se doit de croître.

Alors pas de numerus clausus.

Accueillons tous ceux qui veulent le rejoindre mais pas au prix de l’incompétence et de la méconnaissance des règles déontologiques.

A diplômes universitaires égaux, à formation déontologique égale, oui accueillons tous ceux qui le souhaitent et dont le Barreau ne peut que s’honorer de les compter parmi ses membres.

En l’état, la CNA demande l’abrogation du décret-passerelle et son remplacement par une loi fixant les règles d’entrée au Barreau et celle de la formation.

Notre monde est en perpétuelle évolution, cette évolution est rapide et nous devons veiller au respect de nos règles dans ce contexte dynamique.

Pendant longtemps la publicité a été interdite à l’avocat, le démarchage était prohibé et susceptible de poursuites disciplinaires.

Le Conseil National des Barreaux dont c’est le rôle est amené tous les jours à affiner ces règles impérieuses et à les adapter à notre monde.

La profession est soumise aux coups de butoir de la situation économique et aux règles européennes qui s’imposent aux pays membres de l’Union.

Le 5 mars 2001, la CJUE a rendu un arrêt suite à une question préjudicielle posée par le Conseil d’Etat dans un recours exercé par une société d’entreprise comptable qui voulait faire juger que l’interdiction du démarchage serait contraire à la Directive Services.

Cette décision rappelle l’article 24 de cette directive n° 2006/123 et son interprétation relative à l’interdiction du démarchage pour certaines professions libérales, en l’espèce celle des experts-comptables.

La CJUE rappelle que l’article 24 comportait deux obligations pour les Etats membres : 

Celle de supprimer toutes les interdictions totales de communication des professions règlementées d’une part,

D’autre part, les Etats membres doivent veiller à ce que les communications commerciales faites par les professions règlementées respectent les règles professionnelles conformes au droit de l’Union notamment l’indépendance, la dignité et l’intégrité de la profession, le secret professionnel en fonction de la spécificité de chaque profession, de façon non discriminatoire et au vu de l’intérêt général.

En l’état, le démarchage était prohibée, quelle que soit sa forme, son contenu, et les moyens employés.

Pour la CJUE, une telle interdiction est une interdiction totale des communications commerciales comme telle, elle est contraire à l’article 24 § 1 de la Directive 2006/123.

Par son imprécision, elle conduit à empêcher tout professionnel de communiquer.

Comment la France peut-elle modifier sa règlementation pour la mettre en conformité avec la Directive Services et la jurisprudence de la CJUE ?

Concernant les avocats, c’est le Décret de 1972 qui interdit le démarchage et énonce les sanctions en cas de non respect de la règle, Loi de 1971 modifiée en 1990, article 66-4, qui proscrit le démarchage pour les rédactions d’actes.

Le CNB a chargé la Commission des Règles et Usages où les élus de la CNA ont toute leur place, d’élaborer un texte en conformité avec cette jurisprudence, qui permette aux avocats de communiquer dans le respect des règles professionnelles d’indépendance, de dignité, d’intégrité, de secret professionnel.

Ces règles professionnelles ne doivent pas être discriminatoires et sont justifiées par des raisons impérieuses d’intérêt général.

La CNA affirme le droit pour chaque avocat de pouvoir effectuer toute publicité et toute sollicitation personnalisée, dans le respect des principes essentiels de la profession.

Aussi dans l’action de groupe l’avocat doit pouvoir avertir les concitoyens, par voie de presse, par communication électronique, du procès qu’il engage. Il doit pouvoir informer le public de ses spécialités, de sa compétence et des conditions financières de son intervention.

La CNA demande qu’une loi vienne préciser les conditions de réalisation de démarchage, dans le respect des règles essentielles de la profession. Le CNB y travaille.

L’avocat vit de sa profession, comme tout professionnel et ce n’est pas honteux.

L’Etat a souhaité mettre en œuvre un barème indicatif des honoraires de l’avocat, appliqué aux divorces par consentement mutuel lorsqu’il n’y a pas de conflit entre les enfants et lorsque les époux n’ont pas de patrimoine.

En Europe, l’Allemagne est le seul pays à appliquer un barème. Or ce barème est d’une grande complexité et illisible pour les consommateurs.

L’Etat français a tenté d’étendre ce barème à toutes les procédures de divorce.

Une loi a été votée prévoyant que des barèmes variés soient publiés par Décret après avis du CNB.

La CNA demande l’abrogation pure et simple de cette loi car il n’est pas possible de définir des paramètres permettant de fixer un barème dans cette matière.

Notre profession est multiple, notre profession est attirante, notre profession est ouverte à toute évolution à condition que nos règles essentielles soient respectées.

Ce 77ème congrès de la CNA a pour but de vous aider à vous former aux nouveaux métiers de l’avocat, ce thème est porteur, l’EFB s’en est emparé lors de sa rentrée en 2012, l’ACE l’a repris dans son récent congrès de Cannes ainsi que le CNB dernièrement lors de son AGE du 5 octobre au Palais Brongniart.

Je me souviens, Madame le Bâtonnier du Barreau de Montpellier, de ma visite à votre bureau en décembre 2011 ou accompagnée de Catherine SZWARC, notre directrice de ce congrès, nous vous avons indiqué notre souhaite de le voir se dérouler à Montpellier, dans votre ville magnifique et rayonnante, qui a tant évolué en 30 années grâce à la volonté visionnaire de son génial Maire d’alors.

Je me souviens que nous avons ensemble élaboré le thème de ce congrès, qui a été dès février 2012 mis en ligne sur le site de la CNA.

Merci pour les précieux conseils que nous nous avez alors dispensés.

Merci au Barreau de Montpellier pour son aide précieuse, merci à la Ville de Montpellier, merci à Montpellier Agglomération, merci à l’Opéra Comédie de nous avoir ouvert ses portes, merci à nos sponsors, merci aux exposants et merci à toi Catherine grâce à qui ce congrès a été rendu possible, merci à ton dynamisme, merci à ta « force de frappe », c’est bien le mot qui te convient, à ta disponibilité, à ton énergie, à ton professionnalisme, à ton indépendance.

Dieu comme cette profession te convient !

Merci à tous.

Mesdames et Messieurs, je déclare ouvert le 77ème congrès de la CNA à Montpellier. 

Montpellier, le 12 octobre 2012.

Heidi Rançon-Cavenel,
P
résidente.

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