Editorial de la Présidente de la CNA : « La carte judiciaire Bilan »

Barreau de France n°354 - (Automne 2012)

Que d’encre n’a t’elle pas fait couler, que de débats n’a t’elle pas justifiés, que de protestations et de déchirements  n’a t’elle pas entraînés, tant de la part des magistrats, que des avocats, que des greffes, que de l’ensemble des personnels judiciaires, des élus et des justiciables !

Au 1er janvier 2011, elle était achevée.

Quel bilan peut-on en dresser ?

Cette réforme de grande ampleur a conduit à la suppression de 178 tribunaux d’instance, 21 tribunaux de grande instance, 62 Conseils de Prudhommes, 55 tribunaux de commerce, 85 greffes détachés et à la création de 14 juridictions soit 7 tribunaux d’instance, 1 conseil de Prudhommes, 5 tribunaux de commerce et 1 tribunal mixte de commerce.

Ella a entraîné une réorganisation de la carte judiciaire et a posé la condition d’exercice du service public de la justice, de sa présence sur le territoire et de ses conséquences sur les justiciables.

La commission des lois du Sénat a constitué une mission d’information chargée d’en dresser le bilan, composée de deux rapporteurs, Madame Nicole Borvo Cohen-Seat, CRC Paris et de Monsieur Yves Destraigues, UCR Marne.

La réforme a été actée par un décret, sans aucune concertation préalable, lequel a été publié en période estivale…

J’ai été conviée, es qualité de présidente de la CNA, le 12 juillet dernier à prendre connaissance de ses conclusions et de son rapport, par Monsieur SUEUR, président de la commission des lois du Sénat, sénateur PS du Loiret.

Le titre du rapport est hélas sans ambiguité, savoir:  » la réforme de la carte judiciaire, une occasion manquée. »

Les personnes auditionnées par les rapporteurs ont toutes stigmatisé une méthode éminemment contestable ayant conduit à une réforme précipitée, mal expliquée voire brutale alors même qu’elles en ont reconnu le caractère nécessaire.

C’est ainsi que la réflexion sur les implantations géographiques des tribunaux n’a pas été accompagnée d’une réflexion sur l’organisation judiciaire et la répartition des tribunaux d’où le titre du rapport.

Les points positifs :

Disparition d’implantations judiciaires non justifiées,
Rationalisation du fonctionnement de certaines juridictions,
Accompagnement par la Chancellerie ayant atténué les conséquences négatives de la réforme,
Amélioration des conditions d’installation des juridictions,
Maîtrise apparente des coûts.

Les points négatifs :

Augmentation des coûts: les palais de justice sont en général propriété des collectivités territoriales et à ce titre sont mis gracieusement à la disposition des juridictions.

Or les regroupements ont obligé à trouver de nouveaux sites, parfois en location, d’où augmentation des coûts.

Extrême sollicitation des magistrats et des personnels judiciaires, auxquels les membres de la commission ont tenu à rendre un hommage appuyé.

Suppression nette de postes de magistrats et de fonctionnaires alors que dans le même temps l’activité législative en augmentait les besoins.

Conséquences négatives pour les justiciables les plus fragiles, telles que l’éloignement territorial, l’insuffisance des moyen de transports, les difficultés de circulation, les distances plus importantes, qui ont contribué à augmenter la précarité de certains d’entre eux.

Délais de traitement des dossiers augmentés pour les juridictions civiles.

Cette dernière constation devant être confirmée ou infirmée depuis l’entrée en vigueur de la réforme par une nouvelle analyse.

Accès à la justice: Les suppressions de juridictions n’ont pas produit partout les mêmes effets.Si dans certaines juridictions, la réforme de la carte judiciaire n’a pas entraîné une diminution des affaires, dans d’autres il a été constaté une diminution des saisines, témoignant non d’une accalmie mais d’une difficulté à saisir la justice voire d’un découragement de la part des justiciables.

La réforme de la carte judiciaire, quel avenir :

La réforme a fortement et durablement éprouvé tant les profesionnels que les justiciables.

Les magistrats auditionnés ont réclamé, non une nouvelle réforme, mais une pause:

« Le Parlement doit pouvoir débattre de toute réforme future de la carte judiciaire, pour décider des principes qui devront la fonder et des objectifs qui lui seront fixés.

Des amendements peuvent être apportés à la nouvelle carte judiciaire pour remédier à des dysfonctionnements avérés. »

Propositions de la commission :

Audiences foraines,
Maintien d’une présence judiciaire là où des juridictions ont été supprimées,
Réimplantation de certaines juridictions là où elles sont apparues comme indispensables ou création de chambres détachées…
Réforme des Cours d’Appel indispensable, là où la réforme de la carte ne s’y est pas attaquée,
Réflexion d’ensemble sur la proximité judiciaire et organisation judiciaire subséquente,
Simplification de l’organisation des juridictions de première instance garantissant l’accès à la justice.

La commission recommande la fusion en une seule juridiction des juridictions de premièr instance par la création d’un tribunal de première instance TPI, cela doit rappeler des souvenirs à certains d’entre vous…Ce qui entraîne ipso facto la disparition des tribunaux d’instance auxquels les justiciables sont pourtant attachés.

Il conviendra alors de vérifier la compatibilité avec la règle constitutionnelle de l’inamovibilité des magistrats du siège.

Une réflexion plus poussée s’avère nécessaire à ce sujet.

Sur interrogation de ma part, les membres de la commission ont reconnu n’avoir pas auditionné les avocats de base des juridictions supprimées, mais surtout leurs représentants les bâtonniers, qui ont dit ne pas souffrir de la réforme…

La carte judiciaire ne peut être dissociée de l’organisation judiciaire.

Les auteurs du rapport concluent en soulignant que le travail n’est pas terminé, qu’il convient de le reprendre et de l’améliorer, ce qui ne peut être fait sans une large concertation et une réflexion à mener devant le Parlement.

Notre syndicat a le devoir d’apporter les pistes de réflexion qui lui sont propres pour autant que les auteurs du rapport soient entendus par le Législateur.

LE CONGRES DE LA CNA A MONTPELLIER :

Nous vous y espérons nombreux et enthousiastes, tant sur le sujet choisi, « Les Nouveaux Métiers de l’Avocat« , repris par l’EFB de Paris, l’ACE et à présent par le CNB que sur la qualité des travaux et des intervenants et que sur les festivités auxquelles vous êtes tout invités.

Je voudrais remercier Catherine Szwarc, notre vice-présidente, pour l’énergie qu’elle déploie à l’organisation de notre congrès, dont elle est la directrice dévouée et énergique.

Heidi Rançon-Cavenel
Présidente de la CNA.

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