La refonte de l’Aide Juridictionnelle

16 juillet 2014

La refonte de l’Aide Juridictionnelle

 

Le Barreau français est inquiet au sujet de la survie de l’Aide juridictionnelle :

         les indemnités servies au titre des prestations effectuées par les avocats suffisent à peine à les indemniser des frais exposés. On est loin d’une réelle rémunération,

         la dotation de l’Etat n’est pas revalorisée conformément aux engagements pris par les gouvernements successifs : cette dotation pour  2012 était de 367 millions d’euros alors qu’elle devrait atteindre 700 millions compte tenu du nombre croissant de justiciables éligibles au bénéfice de l’Aide juridictionnelle,

         enfin, il semblerait que le dernier projet de réforme envisagé par la Chancellerie consisterait à créer une taxe pesant sur les cabinets d’avocats afin de suppléer la carence de l’Etat en la matière. Le Barreau français est totalement et unanimement opposé à un tel projet.

L’Aide juridictionnelle constitue pourtant un élément essentiel dans une démocratie moderne : elle permet à tous d’avoir un accès à la Justice. A défaut d’un tel accès, les plus modestes, les plus faibles, les moins fortunés ne peuvent faire valoir leurs droits ! Il s’agit donc pour l’Etat de permettre à tous les citoyens d’exercer un droit fondamental.

Or, l’Aide juridictionnelle traverse depuis des années une situation de crise : le financement par l’Etat est insuffisant. De plus l’Etat est non seulement pauvre, il est aussi menteur ; les promesses de réévaluation ne sont jamais tenues ! Les indemnités n’ont pas été revalorisées depuis 2007 malgré les engagements écrits des gouvernements successifs !

La Confédération Nationale des Avocats (CNA) se propose de contribuer à la recherche de sources de financement permettant de sortir de cette situation de crise.


1°) La création d’une taxe sur les contrats d’assurance « Responsabilité civile, Habitation » et assurance automobiles.

De telles taxes existent déjà pour abonder certains fonds (Catastrophes naturelles, Fonds de garantie).


2°) La création d’une taxe sur les actes faisant l’objet d’un enregistrement auprès de l’administration fiscale.

Les actes et contrats faisant l’objet d’un enregistrement sont souvent relatifs à des opérations importantes et portent sur des sommes considérables ; dès lors l’application d’une taxe minime sera quasiment imperceptible. De plus les modalités de calcul des frais d’enregistrement sont tellement opaques qu’une telle taxe sera totalement indolore.


3°) La Taxe de Solidarité imposée au monde judiciaire

La Chancellerie semble avoir pour projet de créer une taxe qui pourrait être appliquée au chiffre d’affaires des cabinets d’avocats.

Un tel projet est parfaitement scandaleux ! A-t-on aussi envisagé de taxer les médecins afin de financer la CMU ? Les gardiens de prison pour construire de nouvelles prisons ? Les enseignants pour moderniser les établissements scolaires ou payer les bourses des élèves d’origine modeste ?

Si ce projet devait être poursuivi, le principe de solidarité devrait alors être appliqué à toutes les professions qui contribuent à l’œuvre de Justice :

         les huissiers,
         les notaires,
         les experts,
         les magistrats,
         les greffiers,
         et pourquoi pas aussi aux fonctionnaires de la Chancellerie et même au Garde des Sceaux ?

Afin de diviser le Barreau, le projet semble avoir été affiné ; il serait dorénavant question de ne taxer que le chiffre d’affaires réalisé par les avocats hors du champ de l’Aide juridictionnelle.

La même limite pourrait donc aussi s’appliquer aux autres professions concourant à l’œuvre de Justice : seule la part de traitement des magistrats et greffiers réalisée sur des dossiers ne relevant pas de l’Aide juridictionnelle pourrait être taxée.

En ce qui les concerne, une simple déclaration sur l’honneur pourrait permettre de calculer la taxe à leur appliquer afin de pouvoir la retenir sur leur traitement ! La confiance doit régner.

Pour les personnels de la Chancellerie et pour le ministre, c’est donc, hélas, l’intégralité de leurs traitements qui serait concerné par cette taxe puisque du fait de leurs fonctions éminentes ils n’ont jamais à traiter de dossiers d’Aide Juridictionnelle !
 

La véritable réforme doit en fait non seulement permettre de dégager les sources de financement propres à permettre l’exercice par tous les citoyens de leur droit à avoir accès à la Justice en cas de besoin, elle doit aussi permettre de sécuriser et de pérenniser ce service. Pourquoi ne pas détacher le financement et la gestion de ce service de l’Etat

pour le confier aux professionnels du droit (avocats, magistrats, huissiers…) ?

C’est déjà le cas de la gestion des bureaux d’Aide juridictionnelle locaux. La création d’un fonds spécifique abondé en partie par l’Etat et par des taxes fiscales spécifiques permettrait de le rendre autonome tout en lui assurant des financements pérennes.
 

La pire des solutions consisterait à créer des Structures dédiées au traitement de l’Aide juridictionnelle. L’avocat est par nature et par nécessité indépendant.

Il se crée entre l’avocat et son client un lien qui ne peut exister que par la liberté de choix de l’un et de l’autre.

Imposer aux justiciables modestes le recours à des structures d’avocats fonctionnarisés (sans le statut protecteur de la fonction publique toutefois !) relève du plus grand mépris à leur égard.

C’est en fait créer une justice à deux vitesses et des zones de non-droit !

Le contraire de ce qui est officiellement revendiqué par les quelques tenants (minoritaires) de ce système. Rappelons quand même que le Conseil National des Barreaux s’est opposé à la création de telles structures.

Un début d’expérience tente de voir le jour à Lyon pour le traitement des Gardes à vue. L’expérimentation qui devait débuter en janvier 2014 n’a toujours pas pu commencer : les crédits promis à ce titre ne sont pas débloqués.

Ces structures dédiées constituent, en outre, un grave danger pour les jeunes avocats qui seraient tentés de les intégrer. Quelle formation pour leur futur exercice professionnel ?

Comment sortir de ces structures sans clientèle personnelle ? Quelle responsabilité professionnelle ? Qui tranchera les éventuels conflits entre les avocats et leur Ordre devenu employeur ? Comment ne pas suspecter un conflit d’intérêts lorsqu’il s’agira de demander à un avocat payé directement par des fonds d’Etat d’attaquer l’Etat ?

La CNA s’opposera avec une grande fermeté à la mise en œuvre d’un tel projet. En revanche, la CNA est parfaitement disposée à participer à la recherche  de solutions pérennes pour assurer le financement de l’Aide juridictionnelle afin que l’accès de tous à la Justice soit maintenu.

Paris, le 16 juillet 2014

 

 

Louis-Georges BARRET
Président

Thi My Hanh NGO-FOLLIOT
Première Vice-Présidente

Cyrille PIOT-VINCENDON
Vice-Président en charge de la rémunération de l’Avocat

 

 

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