La représentativité syndicale traditionnelle a-t-elle un avenir ?

Article de Me Jean de CESSEAU, Président d'honneur, Président de la Commission Organismes professionnels et paritaires de la CNA

Pour tenter de répondre à cette question délicate, il faut partir d’un constat.

La représentativité des organisations syndicales n’a été, jusqu’à ce jour, pensée par le législateur que pour les seules organisations syndicale des salariés.

La réforme annoncée, et en cours de réflexion, sur la représentativité syndicale pose le problème d’une façon générales des syndicats patronaux et plus particulièrement des syndicats employeurs avocats, qui jouent un rôle primordial dans le cadre des négociations collectives.

Comment sont actuellement organisés syndicalement les employeurs ?

Les articles L 2231-1 et L 2231-3 du Code du Travail exigent que les salariés se constituent en syndicats pour pouvoir exercer leurs droits sociaux reconnus par les dispositions légales.

Par contre, ces mêmes dispositions autorisent les employeurs à se regrouper soit sous la forme syndicale, soit sous la forme associative dans le respect des prescriptions de la loi du 1er juillet 1901, associations qui sont dès lors assimilées aux organisations syndicales  avec mêmes attributions sociales.

Mais, force est de constater que le paysage syndical patronal se dessine de manière complexe autour de plusieurs structures fondées sur des critères liés soit à la nature de l’activité, soit au type d’exercice, soit à certaines sensibilités catégorielles ou politiques.

Cette organisation diversifiée est à l’évidence peu propice à une unité d’action concertée.

S’agissant en particulier des professionnels libéraux et plus précisément de la profession d’Avocat, nos cabinets, quel que soit leur type d’exercice, pourraient, de principe, se situer aussi bien dans la mouvance

         de la CGPME ou Confédération Générale PME lorsque l’employeur a moins de 250 salariés.
L’on rappellera que la CGPME regroupe pas moins de 1,7 millions PME françaises dont 600 000 adhérents issus de 200 branches professionnelles et des syndicats des métiers de l’industrie, du commerce et de l’artisanat.

Cette confédération présente à l’évidence un certain poids face aux pouvoirs publics et aux représentants des salariés.

         de l’UPA ou organisation représentative nationale de l’artisanat et du commerce de proximité qui comprend quatre composantes, CAPES, CNAMS, CGAD, CMATP et rassemble 55 fédérations professionnelles nationales et  5 000 syndicats départementaux.

Elle défend les intérêts de 1,2 millions entreprises françaises, ce qui n’est pas négligeable.

L’on observe cependant que ces regroupements syndicaux, bien que représentatifs des PME TPE qui constituent majoritairement le tissu professionnel des Avocats, sont plutôt centrées vers le secteur économique et commercial éloigné de l’activité juridique et judiciaire de notre profession. 

         du MEDEF ou mouvement des entreprises en France.

Certes, les cabinets d’Avocats sont des entreprises et le MEDEF est une organisation patronale représentant les dirigeants d’entreprises françaises.

D’aucun, pour cette raison, ont pu envisager d’y intégrer les syndicats d’Avocats et plus particulièrement la  CNA.

Par sa puissance d’action est incontestable puisque le MEDEF représente 750 000 entreprises des plus petites aux plus grandes dans des secteurs aussi variés que l’industrie, le commerce et les services.

Or, les Avocats, de par la volonté européenne, sont désormais considérés comme « des prestataires de service ».

Néanmoins, le critère qui différencie ces entrepreneurs, toutes activités confondues de la profession d’Avocat est le caractère libéral de l’exercice professionnel.

D’où le rapprochement naturel avec l’UNAPL ou Union Nationale des Professions Libérales constituée depuis 1977, organisation professionnelle qui regroupe les syndicats représentatifs des principales familles des professions libérales. 

Je vous renvoie, à cet égard, pour plus amples précisions à l’excellent ouvrage de Madame la Présidente Jacqueline SOCQUET-CLERC-LAFONT : « Qu’est-ce que l’UNAPL ? ».

Mais l’on doit souligner cependant, et afin d’éviter toute erreur d’appréciation, que l’UNAPL n’est pas un syndicat comportant des adhérents mais un regroupement ou une union de syndicats des professions de nature libérale et que seuls les syndicats individuels de ce secteur ont vocation à représenter notamment la profession d’Avocat.

Il n’existe pas en effet, en l’état, de représentativité hiérarchiquement organisée entre l’UNAPL et les syndicats individualisés qui en sont membres.

D’où existence d’une représentativité partagée, peu favorable à une unité d’action et donc d’efficacité affaiblie.

Actuellement, les Avocats sont représentés par sept syndicats qui se différencient à partir de critères malheureusement plus catégoriels et  sectaires qu’unitaires. 

         la Confédération Nationale des Avocats ou CNA a, quelles que soient ses différences appellations historiques (CSA puis CNA), toujours eu vocation et volonté de représenter en toute neutralité l’ensemble des Avocats quelles que soient

o       leur structure d’activité,
o       leur sensibilité politique,
o       l’âge de ses adhérents. 

         la FNUJA ou Fédération Nationale des Unions de Jeunes Avocats n’est que représentative de la jeune génération d’Avocats et donc nécessairement catégorielle.

         le SAF ou Syndicat des Avocats de France s’attache à défendre des idées plus politiques que professionnelles et donc à l’évidence sectaires. 

         l’ABF qui se veut défenseur des intérêts des petits Barreaux de province mais qui n’est qu’un avatar historique de la CNA.

         la CNADA qui prétend préserver les petits cabinets d’anciens conseils juridiques.

         l’ACE et l’UPSA enfin qui s’efforcent de représenter, non sans une certaine volonté de domination à l’égard de l’ensemble de la profession, les grands cabinets d’affaire et prétend dès lors imposer à tous les Avocats sa manière d’exercer. D’où sa nature catégorielle.

Autant de « tribus Gauloises » qui prétendent à elles  seules représenter la profession toute entière.

D’où « cacophonie syndicale », vaines batailles de préséance, efficacité négative.

Un mouvement vers un rapprochement de certaines sensibilités syndicales au sein de l’UNAPL semble cependant se dessiner puisque la CNA, la FNUJA, le SAF et l’ACE sont devenus membres de cet organisme pour débattre en son sein des grandes questions communes à toutes les professions libérales, notamment à titre d’exemple le financement des formations professionnelles.

C’est là un premier pas intéressant vers une unité d’action sans pour autant que chaque syndicat abandonne son pouvoir de représentativité dans le cadre des négociations collectives de branche.

Quelles sont les règles actuelles de la représentativité syndicale patronale ?

La représentativité syndicale est une condition primordiale qui permet à une organisation syndicale de négocier les accords interprofessionnels (ANI) et les accords de branche avec les partenaires sociaux et d’être consulté par le gouvernement sur tout projet de réforme à caractère social.

Par voie de conséquence, la représentativité constitue une prérogative syndicale précieuse, d’où enjeu majeur de son maintien et de sa protection.

N’oublions pas que les accords négociés entre les partenaires sociaux, qu’ils soient de branche ou interprofessionnels, ont force de loi dans le secteur d’activité concerné : 

         s’il s’agit de négociations interprofessionnelles sous forme de texte législatif

         s’il s’agit de négociations de branche sous forme d’avenants aux conventions collectives.

D’où l’intérêt vital pour nos syndicats d’Avocats de participer sans délai à la réflexion gouvernementale sur les critères de représentativité qui semblent être remis en question par le projet de réforme en cours.

La loi n° 2008-789 du 20 août 2008 a modifié en profondeur les conditions de représentativité des organisations syndicales de salariés, laissant cependant de côté les syndicats et associations syndicales patronales.

Or, la représentativité d’un acteur social patronal s’appuie actuellement sur des critères incertains :

critère d’une représentation d’un groupe homogène (jeunes Avocats, Avocats politiquement marqués, …

critère défini légalement et jurisprudentiellement.

A partir de ces critères peu précis, l’on doit s’interroger pour savoir quelles organisations ont légitimité pour représenter les employeurs.

Nul ne peut tout d’abord nier que les organisations patronales ont un rôle majeur dans les négociations collectives ou dans leurs participations à de nombreux organismes paritaires face aux organisations syndicales représentatives des salariés.

Chacun doit cependant constater que ces organisations, de par les intérêts particuliers qu’elles défendent (à l’exception de la CNA à vocation universelle), participent de la complexité avérée du syndicalisme patronal français.

Actuellement, alors que les syndicats de salariés puisent leur légitimité dans des élections professionnelles ascendantes allant des syndicats de base jusqu’aux Confédérations Nationales de syndicats, les syndicats d’employeurs ne représentent que leurs membres sans qu’il soit besoin de démontrer une quelconque légitimité.

Mais cette situation ne saurait perdurer et va nécessairement dans l’avenir être remise en question sans doute à partir d’un critère simple et rationnel : le nombre d’adhérents et le plafond à atteindre en-deçà duquel il ne saurait y avoir de représentativité.

N’oublions pas que la jurisprudence du Conseil d’Etat considère que le nombre d’adhérents de l’organisation en cause joue un rôle déterminant.

Une organisation patronale doit pouvoir justifier d’un nombre appréciable de professionnels ou un pourcentage relativement important ou encore une part significative des entreprises dans la branche ou un secteur.

Les deux critères techniques actuels applicables aux syndicats de salariés sont consacrés par l’article L 2121-1 du Code du Travail qui distingue :

         critère d’audience

         critère d’adhésion

rappelant cependant que ces critères, s’ils ne peuvent être confondus, sont néanmoins cumulatifs.

Le critère d’audience s’apprécie en regard des résultats de chaque syndicat aux élections professionnelles tandis que le critère d’adhésion se défini à partir du nombre de personnes adhérents et cotisant au syndicat.

Et, si le critère d’audience n’est pas transposable aux organisations patronales qui ne tirent point leur légitimité d’élection professionnelle « baromètre » de la représentativité des syndicats des salariés, le critère des effectifs adhérents et cotisant semble, à l’évidence, révélateur de l’influence d’un syndicat dans le secteur qu’il prétend représenter.

Les critères proposés par la réforme en cours, pour parvenir, de par la volonté gouvernementale, confortée en cela par la position commune du MEDEF, de la CGPME pour les employeurs, mais également par la CFDT et la CGT pour les salariés, visent à mettre en place des syndicats forts par l’entremise de la technique électorale tant au niveau national et interprofessionnel qu’à celui des branches professionnelles.

Il m’apparaît qu’il faille préférer à une légitimité tirée d’élection professionnelle, difficile à mettre en œuvre dans le secteur des professions libérales, une légitimité s’appuyant sur le nombre d’adhérents et de cotisants.

Quelle est cependant la réelle représentativité professionnelle de ces syndicats ?

Cette question est brulante car le gouvernement actuel a procédé à l’ouverture de la réforme de la représentativité patronale et l’UNAPL appelle de ces vœux la mise en place d’une représentativité nationale et interprofessionnelle au sein du secteur libéral tel qu’il existe dans les domaines économiques et commerciaux par le biais des trois organisations historiques : CGPME, UPA et MEDEF.

L’UNAPL considère, en effet, qu’il y a une légitimité à ce que ce secteur libéral soit représenté de manière unitaire au niveau national et interprofessionnel.

Très clairement, le Président actuel de l’UNAPL a pu ainsi proposer au Président de la République, l’élaboration d’un statut d’Organisation Représentative au plan national et interprofessionnel avec pour entité coordinatrice l’UNAPL, moyen incontournable selon lui « de pouvoir contribuer, via les accords nationaux et interprofessionnels, au rôle de pré-législateur en portant les valeurs d’un secteur économique dynamique et garant du lien social en tous points du territoire ».

De telles propositions vont nécessairement remettre en question le pouvoir de représentativité des sept syndicats patronaux d’Avocats et doivent dès lors interpeller la profession.

La tendance gouvernementale va dans le sens des réflexions de l’UNAPL puisque, depuis de nombreuses années, les gouvernants sont en quête d’une unification des structures sociales comme d’ailleurs le préconisent certains professionnels libéraux.

Actuellement, l’Union Nationale des Professions Libérales est une organisation qui regroupe uniquement des syndicats individuels tenant du pouvoir de représentativité à l’exclusion d’adhérents personnels.

Elle n’a donc pas faculté d’intervenir dans les négociations collectives de branche, monopole exclusif de chaque syndicat d’employeurs libéraux.

Mais qu’adviendra-t-il pour l’avenir dès lors qu’il est patent que les règles de représentativité des syndicats patronaux plus particulièrement de notre profession risquent d’être calquées sur celles des syndicats salariés.

Quelle pourrait être la représentativité pour l’avenir ?

Trois scénarii peuvent être envisagés 

1° Premier Scénario

Fusion complète des syndicats représentatifs de la profession d’Avocat au sein de l’UNAPL qui constituerait le creusé de toutes les sensibilités, en établirait la synthèse et serait tenant du pouvoir de représentativité des syndicats patronaux notamment de la profession libérale d’Avocat auprès des pouvoirs publics et des syndicats de salariés, par délégation, les syndicats membres demeurant tenant du pouvoir décisionnel, l’UNAPL n’étant que le bras séculier de ceux-ci.

Deux types de décisions pourraient être envisagés à partir de débats distincts :

décisions relevant de la compétence de la négociation collective de branche

décisions concernant l’ensemble des professionnels libéraux.

Les unes tiendraient compte de la spécificité de la profession d’Avocat, les autres concerneraient l’ensemble du monde du travail au sein de la famille libérale à savoir :

         financement et gestion des fonds de la formation,
         chômage, 
         égalité professionnelle
         durée du travail
         pénibilité
         paritarisme
         salaire minima en fonction des degrés de compétence et des types d’activités
         protection sociale 
         prévoyance, dépendance, complémentaire santé etc …

La mise en œuvre de ce scénario ne manquerait pas de déboucher sur le renforcement de représentativité des professions libérales sans pour autant priver les syndicats membres de leur source d’inspiration syndicale.

Rappelons à cet égard que les professions libérales réunies représentent un tiers de l’emploi pour  850 000 professionnels libéraux et 1,8 million de salariés, soit 2,6 millions d’actifs, 10,5 % de l’emploi salarié et 26 % environ des entreprises françaises et que les sept syndicats d’Avocats regroupent toutes les facettes professionnelles et donc toute la profession.

La représentativité par délégation tenue par l’UNAPL permettrait, me semble-t-il, à celle-ci d’être matériellement partie prenante à toutes les étapes de négociations sociales mais par délégation.

2° Deuxième scénario

Les syndicats membres de l’UNAPL donneraient par délégation le pouvoir de représentativité à l’UNAPL uniquement pour ce qui concerne les questions sociales communes à l’ensemble des professions libérales, se réservant de manière traditionnelle le pouvoir de représentativité dans le cadre des négociations collectives par branche.

Certes, ce pouvoir de représentativité par branche demeurerait intact, mais le pouvoir de négociations tel qu’organisé dans le premier scénario s’en trouverait réduit.

3° Troisième scénario

L’UNAPL trouverait son rôle limité à un guichet unique pour l’information de l’ensemble des professionnels libéraux et notamment pour la définition des conditions de financement et de gestion des fonds de la formation, chaque syndicat conservant de manière individuelle ses prérogatives de représentativité par branche.

C’est là maintenir la situation chaotique actuelle.

Il nous appartient dans l’urgence de faire un choix, choix qui doit provenir de notre réflexion syndicale, afin d’éviter que par une nouvelle définition des règles de représentativité, un système destructeur de la liberté syndicale ne soit imposé par voie gouvernementale.

Et, comme chaque syndicat d’Avocats n’est représentatif que d’une partie de la profession, seul le regroupement de tous les syndicats au sein de l’UNAPL pourrait répondre au critère du nombre d’adhérents et ainsi à la condition de représentativité de la profession d’Avocat fondée sur l’adhésion et le paiement des cotisations dans leur globalité.

La CNA et plus précisément le CNAE ont donc mission de participer à ce vaste chantier de la représentativité nationale en présentant des propositions qui pourraient s’inspirer notamment du premier scénario que dessus défini et évitant l’irritant sectarisme syndical aujourd’hui à la mode, élèverait le débat, en faisant choix d’une solution susceptible de préserver les intérêts de toute une profession, l’union syndicale au sein d’un même organisme renforçant les pouvoirs de tous actuellement fragilisés par la disparité syndicale, réminiscence d’un passé chaotique qui ne correspond plus aux données sociales actuelles. 

Toulouse, le 1er août 2013.

Jean De CESSEAU
Président d’honneur de la CNA.
Président de la Commission Organismes professionnels et paritaires.

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