L’audit juridique civile – l’avocat au service du citoyen

Par Maître Gérard MONTIGNY, Vice Président de la CNA, avocat au Barreau d'Amiens

1.      La nécessité de l’accès et de l’identification des droits

11.    Le conseil

Voici plus de 30 ans, la loi du 31 décembre 1971 réunit avocats, avoués et agréés ; elle consacre le statut spécifique de la profession de conseil juridique.

En prohibant par l’article 75 de la loi tout acte de sollicitation directe de la clientèle et en instituant un délit pénal de démarchage en vue de donner des consultations et de rédiger des actes en matière juridique, le législateur prétend consacrer le droit de tout usager à une égalité d’accès à un conseil juridique capable, formé et soumis à une déontologie.

20 ans après, la loi du 31 décembre 1990 réalise la fusion entre les avocats et les conseils juridiques.

La publicité est permise « avec dignité et délicatesse ».

12.    Le démarchage prohibé

Mais le démarchage reste un délit puni aux termes de l’article 72 du décret 72-785 du 25 août 1972 d’une amende de 30 000 F et en cas de récidive d’une amende de 60 000 F et d’un emprisonnement de six mois…Ainsi, l’avocat ne saurait aller au devant du besoin de droit et du consommateur ignorant de ses droits.

La rigueur de la loi dans le souci d’encadrer fermement l’offre de service en vue de donner des consultations ou de rédiger des actes en matière juridique ou de provoquer à la souscription d’un contrat aux mêmes fins, se veut révélatrice d’une valeur que le législateur concède à la « mission de conseiller en matière juridique », laquelle serait étrangère à l’économie de marché.

13.    L’insuffisance des services socio-juridiques

Pourtant dans la réalité, la solidarité nationale a limité le domaine réel de l’aide juridictionnelle à l’espace contentieux ; cette aide n’est étendue ni aux commissions administratives en général, ni à l’espace considérable de la prévention du risque juridique ou du conseil.

L’aide à l’accès au droit est pratiquement ignorée par la loi du 10 juillet 1991 (article 53) la loi du 18 décembre 1998 donne une perspective sociale à cette action par l’intervention concurrente ou convergente de multiples acteurs : associations, travailleurs sociaux, agents d’accès au droit, emplois jeunes.

Quel que soit le dévouement des acteurs de terrain, le travail accompli se borne à l’information, la gestion et l’orientation des consommateurs de droit vers des organismes sociaux, une assistance sociale personnalisée  plutôt que d’une aide véritable à une consultation juridique au sens strict, à un conseil personnel ou à une assistance équivalente à celles dont bénéficient la clientèle solvable et les entreprises.

Le bénéficiaire de l’aide à l’accès au droit est surtout soumis à une aide sociale, variable d’une région à l’autre, instituée par les « commissions départementales de l’aide juridique ».

Il ne s’agit pas de remettre en cause les actions qui ont donné des résultats satisfaisants par le soutient financier au fonctionnement des permanences gratuites d’accueil et d’information par les professions judiciaires et juridiques, les associations  ou d’autres organismes, mais de prendre en compte un véritable accès aux conseils juridiques individualisés comme une « valeur démocratique essentielle ».

Ces actions d’aide à l’accès au droit sont multiples mais restent tributaires des choix opérés par les conseils départementaux et des arbitrages des élus.

L’aide à l’accès au droit s’intègre ainsi plus dans une politique sociale que dans une stratégie de prévention du risque juridique.

Elle s’inscrit dans le cadre d’une politique de la ville ou dans une approche caritative et humanitaire, pas dans une gestion juridique des droits du citoyen ou de sa famille.

Il ne s’agit pas d’un processus d’accès au droit de « plain-pied ».

14.    Le projet d’un audit juridique et citoyen

Aussi, pour lutter contre cette carence, la Confédération Nationale des Avocats avait à l’occasion de son Congrès d’Amiens les 15, 16 et 17 mai 2003, évoqué pour la première fois le concept « d’audit civil ou d’audit citoyen », comme technique d’incitation à un réel accès au conseil juridique et au « management » des risques du citoyen et de sa famille.

Cinq ans après, n’est-il pas du devoir d’une Grande Profession du Droit en gestatin de prendre en compte la considérable friche sociale que constitue l’espace du conseil et de l’assistance juridique aux citoyens et à la famille ?

2.      Definition du projet d’audit citoyen

21.    Définition analogique : l’accès à la santé et l’article L.321-3 CSS

L’ « audit civil » ou « audit citoyen » est une action de prévention en matière juridique analogue, dans son principe, à l’examen de santé gratuit tel qu’il est énoncé par l’article L.321-3 du Code de la Sécurité Sociale :

« La Caisse doit soumettre l’assuré et les membres de sa famille à certaines périodes de la vie, à un examen de santé gratuit.

En cas de carence de la Caisse, l’assuré et les membres de sa famille peuvent demander à subir cet examen. »

L’article R.321-5 du Code de la Sécurité Sociale dispose :

« L’examen de santé gratuit prévu par l’article L.321-3 doit être pratiqué à certaines périodes de la vie, déterminées par un arrêté du Ministre chargé de la sécurité sociale et du Ministre chargé de la santé.

Ledit arrêté fixe également la nature de cet examen et les modalités selon lesquelles il est effectué compte tenu des examens médicaux auxquels les intéressés sont tenus de se soumettre en application de dispositions légales ou réglementaires autres que celles relatives aux assurances sociales et des examens préventifs auxquels ils se soumettent volontairement. »

22.    Une transposition simple

C’est ce processus que nous souhaitons mettre en état dans le domaine de l’accès au droit.

La transposition dans sa légitimité sociale, civique et économique est d’un intérêt général indiscutable ; cette fois, l’intérêt général se conjugue à l’intérêt de tous les particuliers.

3.      Raison d’être et légitimité d’un audit citoyen

31.    L’intérêt général justifie cette approche

Lors de son Congrès de Grenoble en mai 2001, la C.N.A. avait constaté que la proclamation des principes essentiels et des valeurs communes de la profession d’avocat exige de contribuer au progrès des droits fondamentaux : les principes moraux, l’éthique, le respect de la vie ont besoin de la mise en œuvre effective de la réglementation et des droits. 

Qu’importent la proclamation de tels principes, si la collectivité, si la nation, si la loi, maintiennent des friches juridiques en ne favorisant pas l’accès de tous les citoyens aux professionnels du droit ?

Que valent les textes législatifs ou réglementaires lorsqu’ils sont ignorés et ne sont pas mis en œuvre ?

Que valent les droits indifférents à leurs bénéficiaires qui les méconnaissent alors qu’ils sont sans doute titulaires de créances ou d’actions qu’ils laissent prescrire, de dettes et de risques auxquels ils s’exposent sans en avoir conscience et aggravent sans ignorance ?

32.    L’intérêt individuel

Il est évident que de nombreux droits sont délaissés ou ne sont pas mis en valeur ; des indemnisations ne sont pas sollicitées par ignorance du droit ou par réticence à aller trouver un avocat ; des obligations sont délaissés, des équilibres juridiques sont déstabilisés par l’ignorance des outils de « régulation » pourtant prévus par le législateur ou les contrats.

En matière de risques juridiques et économiques, le constat est fait que beaucoup d’entreprises ignorent les aides, les subventions, les mesures d’assistance technique ou financière auxquelles elles ont droit ou s’exposent à des risques juridiques, fiscaux et sociaux qu’elles n’identifient pas ; l’ampleur de la friche juridique est considérable au niveau des P.M.E., des entreprises artisanales ou de la gestion du patrimoine personnel ou familial.

Ainsi, face à la violation de droits fondamentaux, face aux atteintes aux Droits de l’Homme ou à la dignité, à l’ignorance de risques juridiques et économiques auxquels des particuliers ou des entreprises sont exposés, face aux abus de position dominante de certains secteurs économiques, l’avocat a un devoir de défense.

L’état à le devoir d’assurer l’accès aux droits qu’il institue !

33.    Le devoir de l’avocat

Systématiquement, il est du devoir professionnel et moral de l’avocat d’imposer la mise en œuvre du principe de précaution et de prévention des risques juridiques.

L’« audit juridique » ou « audit citoyen » est l’instrument de cette mission et le remède à ces délaissements juridiques.

4.      Modalités pratiques d’une mise en oeuvre

 41.    Au plan législatif

Le législateur doit poser le principe politique selon lequel tout citoyen est en droit notamment à certaines périodes de sa vie de bénéficier d’un examen de sa situation juridique, confidentiel, à son initiative ou sur proposition de l’organisme en charge de la gestion de cette prestation (profession réglementée ou conseil départemental de l’aide juridique ou service administratif à déterminer).

Les droits sont illisibles ; c’est le devoir de l’Etat de rendre la loi effective et accessible réellement à tous.

Le contenu de cette mesure d’audit et l’étendue de l’examen pourrait être fixé par un arrêté du Garde des Sceaux à l’exemple de l’examen de santé prévu par l’article R.321-5 C.S.S.

On peut supposer que l’audit aurait pour objet, au moins une fois tous les cinq ans et/ou à chaque moment majeur de la vie de permettre l’analyse et la révision des droits dans les domaines les plus courants de la vie soit pour les particuliers par exemple :

ð         statut matrimonial et patrimonial
ð         situation fiscale d’ensemble
ð         logement
ð         travail et droits à la retraite
ð         placements financiers, relations bancaires
ð         droit de la consommation et crédits en cours ; endettement ; assurances
ð         risques ignorés

La mission pourrait être cadrée et guidée par des fiches types d’audit, déterminant en amont la consistance, le contenu et la forme de l’audit et du rapport de mission qui serait remis à l’usager du droit accompagné de prescriptions ou de suggestions juridiques analogues à une « ordonnance » médicale : démarches complémentaires à entreprendre, alertes préventives, révélations d’infractions, droits à revendiquer, contrats à actualiser ou amender, etc.

42.    Techniques de financement

La mission conduite par le professionnel du droit pourrait bénéficier d’une rétribution forfaitaire de base au titre de l’aide à l’accès au droit et pour les citoyens solvables de déductions fiscales ou de primes d’assurance.

Une périodicité de trois, quatre ou cinq ans serait prévue, complétée d’audits systématiques à certaines étapes essentielles de la vie (accès à la majorité, mariage, naissance, pacs, etc.).

Les assureurs, les assureurs de protection juridique, les mutuelles, les organismes de retraite pourraient être incités à contribuer au financement de ces actions préventives, diminutives de leurs risques à partir de la « mission cadre » qui serait fixée par l’arrêté ; ils sont directement bénéficiaires des ajustements, régulations et corrections qui découleront nécessairement de ces audits.

Ils trouveront rapidement avantage à concourir à leur financement car l’audit contribuera à la prévention de leurs risques et à la cohérence de leurs contrats et de leurs primes, à l’ajustement de leur gestion, à la régulation de situations de surendettement, de sous- ou de surassurance.

 43.    Incitations fiscales

Pour la clientèle solvable et pour inciter chaque citoyen à la conscience de ses droits et à l’importance de veiller à la mise en œuvre du principe de précaution en matière juridique, une politique active de soutien à l’accès au droit pourrait être mise en état permettant par exemple la déductibilité fiscale à concurrence de 1 000 €  tous les 2 ou 3 ans du coût d’une mission entrant dans le cadre de ce statut juridique particulier.

44.    Une Grande Profession d’Avocat au servie d’une citoyenneté épanouie : l’avocat référent

La relation avocat-client née de l’audit civil favoriserait le rapprochement des professionnels du droit d’une population souvent réservée ou rétive à faire les premiers pas vers une étude ou un cabinet.

L’audit juridique civil par son caractère préventif et spontané a le mérite d’installer la relation avocat-client hors de tout contexte de crise, de conflit, de procès ; il favorise une première approche sereine et tranquille de nature à nouer un rapport de confiance. Progressivement, l’avocat auditeur deviendra l’avocat référent de la famille ou de l’entreprise, apte par sa connaissance acquise ……..

5.      Conclusion politique

51.    Une exigence démocratique pour l’Etat

Il est clair qu’aujourd’hui, en Europe et en France en particulier, le citoyen confronté à des difficultés d’ordre juridique, à des risques, à des catastrophes intimes, technologiques, naturelles ou à de simples accidents de la vie ou qui veut s’engager préventivement dans un examen global de sa situation, se trouve confronté à deux approches politiques opposées :

ð         soit il se tourne vers l’Etat, la collectivité, et attend de l’homme politique soutien, secours et assistance : dans ce cas, le parlementaire confronté à la révélation d’un risque institue une loi nouvelle, organise une procédure innovante, recherche les moyens de financer le fonds, génère la création d’une commission, laquelle va établir des barèmes d’indemnisation et organiser les modalités d’accès à la distribution des indemnités.

ð       soit le citoyen conserve son autonomie et décide d’agir individuellement et il cherche un conseil indépendant qui devrait être un professionnel réglementé du droit et notamment un avocat : or, cette démarche aujourd’hui ne lui est pas pleinement ouverte dans des conditions économiques convenables.

L’autonomie citoyenne exige la pleine maîtrise de l’accès à l’action judiciaire normalement rétribuée, mais aussi la prise en considération de l’accès au droit, en amont de tout litige, préventivement.

C’est le sens de notre revendication et de notre proposition tendant à la mise en état d’un processus d’audit civil ou audit citoyen.

La protection de l’individu, face aux turbulences économiques, sociales ou naturelles, impose la mise en état de ce processus, indispensable à l’égalité citoyenne…

52.    L’accomplissement d’un devoir pour la Grande Profession d’Avocat

Le droit est omniprésent, en même temps inaccessible, occulte et souvent ignoré.

L’avocat est par sa mission dans tous les domaines de la vie l’éclaireur des droits de tout citoyen, de toute entreprise ou collectivité.

Ne serait-il pas imaginable, au-delà de ce projet d’audit citoyen par l’avocat que bientôt chaque justiciable ou consommateur de droit en France dispose, au-delà de cet audit juridique, d’un Grand Professionnel du Droit, Avocat référent à l’exemple du médecin référent.

Cet avocat « référent » qui connaîtrait préventivement les dossiers et la situation de son client en amont des accidents de la vie, serait ainsi mieux armé pour conseiller, défendre, assister, faire valoir les droits du citoyen-justiciable en cas d’imprévu ou de catastrophe juridique secondaire ; confronté aux services de l’Etat, de l’administration, de la police, d’un employeur, d’un bailleur, d’un producteur ou d’un agresseur n’établirait-il pas un meilleur équilibre de ses droits en pouvant invoquer : halte ! J’ai aussi des droits et voici le nom de mon avocat.

Gérard MONTIGNY
Vice-président de la CNA
Avocat à la Cour
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