Les Juridictions du 21ème siècle – quelques observations sur le compte rendu de Madame GLON, membre du Bureau du CNB.

Par Jean de CESSEAU, Président d'honneur

Tout d’abord, une observation préliminaire.

Il est particulièrement intéressant de noter que Madame GLON, comme d’ailleurs l’ensemble des sensibilités professionnelles, vise à obtenir la présence de l’avocat dans tous types de traitements de litiges, soit en précontentieux, soit dans le cadre des procédures de médiation ou des procédures collaboratives ou participatives.

Ce point à défendre m’apparaît prioritaire et doit concentrer tous nos efforts.

Examinons ce rapport chapitre par chapitre.

1° Justice simplifiée

Le rapporteur vise

·        à la suppression de l’oralité
·        à l’unification des modes de saisie des juridictions
·        à l’emploi des nouvelles technologies

a)      La suppression de l’oralité

Comme je l’avais d’ailleurs indiqué en ma note du 18 juillet 2013 sur le compte rendu de la réunion de la commission ad-hoc du Conseil National des Barreaux du 04 juillet 2013, je demeure très réticent pour que la procédure écrite se substitue dans tous les cas à la procédure orale, et ce pour plusieurs raisons.

La première, d’ordre pratique : 

La procédure orale est un complément nécessaire de la procédure écrite dans certains dossiers complexes.

Et l’argument de Madame GLON selon lequel la procédure orale serait un véritable facteur d’insécurité juridique et de rallongement des délais ne saurait être retenu.

 Deuxième raison : la protection du rôle des Avocats.

Le « tout écrit » écarte les Avocats des prétoires et éloigne ainsi les Juges des justiciables car l’Avocat est l’intermédiaire entre les justiciables et le Juge. 

Lorsqu’on entend rapprocher le Juge du justiciable et l’aider à s’exprimer par l’intermédiaire d’un Avocat en termes techniques et juridiques, le tout écrit constitue un véritable obstacle et, s’il simplifie certes le travail des Juges, il éloigne le justiciable de sa justice.

b)      L’unification des modes de saisie

Sur ce point, la profession ne peut que s’accorder, ne serait-ce que pour assurer la transparence de la justice à l’égard du justiciable.

La saisine unique par voie de requête, appuyée sur des écrits et complétée par une procédure orale, m’apparaît devoir être généralisée. 

c)      La dématérialisation des procédures et le recours aux nouvelles technologies

Nous ne pouvons tourner le dos aux nouvelles technologies mais nous devons les utiliser avec mesure et raison.

Nous devons systématiquement écarter le projet Européen de mise en place d’une justice électronique qui permettrait aux justiciables d’obtenir règlement des petits litiges au quotidien sans l’aide et l’assistance d’un Avocat, de manière automatique, et d’une façon anonyme.

Une justice virtuelle, ce n’est pas ce qu’attendent les justiciables. 

Par contre, et comme d’ailleurs le propose Madame GLON, nous devons, par le biais des nouvelles technologies, 

         accéder aux fichiers des données juridiques

         permettre l’archivage des actes d’Avocats sous signature électronique

         créer un outil fiable et assurer contact entre juridictions et justiciables par l’intermédiaire des Avocats aux fins d’enregistrement et d’échange des actes de procédure en simplifiant cette « usine à gaz » du RPVA qui ne fonctionne point de manière égale devant les juridictions et qui souvent tombe en panne.

2° La justice négociée

Elle s’inscrit dans les phases pré-contentieuse et post-contentieuse. 

a)      La négociation, phase pré-contentieuse, susceptible de préparer le justiciable à la médiation

Que dire de la conciliation préalable obligatoire ? 

Elle existe déjà dans notre appareil judiciaire mais n’est d’aucune manière contraignante (voir à cet égard justice sociale, familiale, petits litiges).

J’ai énoncé l’idée du caractère obligatoire de la conciliation préalable, certains affirmant en réponse que c’est une « fausse bonne idée ».

Personnellement, j’en saisie mal les raisons.

Car, sous condition que l’Avocat prépare son client à ce processus préalable au contentieux et participe obligatoirement à ce mode de régulation des conflits, elle peut régler un litige sans débat au fond par la seule homologation de l’accord par le Juge saisi, et, à défaut d’accord, ce même Juge tranchera le litige dans le cadre contentieux. 

Ce n’est pas imposer aux justiciables de s’accorder, avant tous contentieux, par le biais de la conciliation, c’est le préparer à la médiation. 

b)      La médiation

La présence de l’Avocat s’impose et le processus doit être favorisé

         d’une part, parce que l’Avocat définit le cadre juridique minimum protecteur des droits du justiciable et le guide dans ses approches vers un accord admissible. 

         d’autre part, parce que la médiation constitue un instrument d’apaisement social des conflits et évite un déchirement judiciaire.

Il nous appartient de convaincre les justiciables qu’un accord amiable vaut mieux qu’un procès incertain.

La seule question qui se pose est de donner au résultat de cette médiation une force exécutoire qu’elle ne possède pas à la différence des conventions d’arbitrage.

  3° L’avocat

L’on ne peut qu’être d’accord sur l’objectif poursuivi par Madame GLON selon lequel l’Avocat a mission de renforcer l’autonomie décisionnelle des parties.

La seule question posée est de savoir comment sécuriser les parties dans ce processus.

a)      Renforcement de l’autonomie

Elle passe tout d’abord par l’information donnée par l’Avocat à son client sur la possibilité de médiation.

Mais cela implique un changement profond de mentalités car les structures mentales « Gauloises » d’un grand nombre de justiciables les poussent à la querelle procédurale. 

La méfiance entourant l’approche amiable des causes d’un litige est contraire à l’idée commune toujours exprimée, sauf cas d’exceptions, par les justiciables, selon laquelle ils sont toujours dans leur bon droit même s’ils participent peu ou prou à l’origine de l’incident.

Donner à la place de l’Avocat une grande importance nécessite une formation à la médiation très sérieuse car l’Avocat doit être le régulateur « des pulsions guerrières » de son client.

Il doit définir les avantages et les limites du traitement des litiges par médiation.

b)      La sécurisation 

Nos règles de déontologie nous imposent la confidentialité et assurent donc la sécurité des accords.

Mais est-ce suffisant pour rendre le processus obligatoire ? 

Oui, lorsque la médiation débouche sur une transaction des articles 2044 et suivants du Code Civil.

Oui, lorsque la médiation débouche sur un véritable contrat entre les parties, encore que celui-ci puisse être contesté au titre des articles 1109 et suivants du Code Civil.

Oui, lorsque la loi l’exige, notamment en matière de divorces.

Oui enfin, lorsque l’homologation par le Juge donne à cet accord forme exécutoire. 

Mais ce processus devient dangereux lorsque l’Avocat est le rédacteur d’un procès-verbal d’accord de médiation susceptible d’être contesté et donc d’engager sa propre responsabilité. 

4° Procédures collaboratives et participatives

Il s’agit de négociations encadrées par les règles procédurales pour parvenir à une résolution pré-contentieuse du litige avant toute saisine du Juge sous conditions qu’elle soit quant à sa forme, légalement définie comme en matière de procédure de distribution du prix de vente. 

5° L’acte d’Avocat

L’acte, sous la plume de l’Avocat, est garant de la compétence, sous sanctions éventuelles de responsabilités. 

Mais cet acte n’aura plein effet qu’autant qu’il ait même force exécutoire que l’acte notarié sans qu’il soit besoin d’homologation judiciaire. 

Cela implique un ajout à la loi créatrice de l’acte d’Avocat. 

Cela ne manquera pas d’entrainer une résistance violente des Notaires.

6° Organisation de la justice : création d’un Tribunal de Première Instance

J’avais proposé, dans le cadre de mes observations sur le projet TAUBIRA, un regroupement des juridictions d’exception au sein des Tribunaux de Grande Instance sous forme de sections spécialisées.

Je note avec satisfaction que Madame GLON reprend cette idée en suggérant la création d’un TPI sous conditions de fusion des TI-TGI et répartition lisible des compétences.

Le TPI comprendrait donc un regroupement de toutes les juridictions qu’elles soient de droit commun ou spécialisées, une spécialisation de sections avec pour certains, quant à leur organisation interne

          maintien du paritarisme (juridiction prud’homale)

         échevinage pour les juridictions commerciales

J’avais osé ajouter que l’ordre administratif rejoigne l’ordre judiciaire en la forme de section spécialisée appliquant un droit spécifique. 

7° L’Aide Juridictionnelle

Je ne suis pas un grand spécialiste en la matière et laisserai le soin à notre Présidente d’honneur, Brigitte MARSIGNY, d’apporter aux propositions de Madame GLON les observations qui s’imposent. 

Quoi qu’il en soit, l’accès à l’Aide Juridictionnelle est de plus en plus ouvert alors que, par ailleurs, le financement de cette Aide Juridictionnelle ne poursuit pas la même courbe ascendante. 

D’où nécessité de trouver des sources complémentaires de financement.

Il est proposé :

a)      Une taxe sur les mutations et les actes juridiques

L’Etat acceptera-t-il de perdre les ressources des droits de mutation et d’enregistrement ou d’augmenter les droits de ces opérations ? 

L’avenir le dira. 

b)      Des droits forfaitaires sur les actes juridiques faisant l’objet de dépôt ou d’une publicité

Cette proposition m’apparaît pleinement envisageable sans difficulté particulière.

c)      Les droits forfaitaires sur les autres actes juridiques

C’est-à-dire sur les actes rédigés par des professionnels chargés de collecter la taxe telle que la TVA. 

Les Avocats et autres commerçants seront concernés par ces droits forfaitaires.

Quelle sera leur réaction ? 

d)      Comment se ferait le collationnement de ces fonds ? 

Il serait intéressant que soit créé un fonds de gestion géré par les Avocats au sein du CNB dans le cadre d’une commission comprenant également le Ministre du Budget et le Ministre de la Justice. 

Et quid de l’indexation de ces droits sur le coût de la vie ? 

8° Répétibilité des honoraires 

Madame GLON limite ces propositions de répétibilité à l’Aide Juridictionnelle.

N’oublions pas que l’un de nos Présidents avait proposé la règle de la répétibilité dans tous les litiges, ce qui avait l’avantage de réduire les contentieux, le perdant ayant crainte d’être chargé de payer non seulement les frais de justice mais également les honoraires de l’Avocat de la partie gagnante, et de favoriser les modes alternatifs de règlement des litiges. 

Peut-être pourrions-nous à cette occasion reprendre l’important travail technique de la CNA à cet égard. 

Toulouse, le 19 août 2013.

Jean De CESSEAU,
Président d’honneur de la CNA.

Lire le
Compte-rendu de la Commission ad hoc du CNB sur les Juridictions du 21ème siècle et office du juge réunie le 4 juillet 2013

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