Lettre aux Députés – Projet de Loi n°1889 : réseaux consulaires

3 mai 2010, Vincent BERTHAT, Président

Monsieur le Député,

 

La CONFEDERATION NATIONALE DES AVOCATS (CNA),  vous demande de rejeter l’article 13 quater du projet de loi n° 1889 relatif aux réseaux consulaires, au commerce, à l’artisanat et aux services soumis au vote de l’Assemblée Nationale le 4 mai 2010.

L’ensemble de la profession d’avocat est très attentive à votre vote. L’ACE (AVOCATS CONSEILS D’ENTREPRISES) a officiellement protesté contre ce projet. Pour la plupart des 50 000 avocats français, le vote du 4 mai sera un test de l’attitude des députés à l’égard du Barreau.

Je rappelle que l’article 13 quater prévoit, dans  l’ordonnance n° 45-2138 organisant la profession d’experts-comptables, d’étendre les attributions des membres de l’ordre et des associations de gestion et de comptabilité, ainsi que de leurs salariés autorisés.

C’est l’objet, dans le 7ème alinéa de l’article 22, de la dernière phrase (en italique ci-dessous). Selon l’article 13 quater, le 7ème alinéa disposerait :

« Ils peuvent également donner des consultations, effectuer toutes études et tous travaux d’ordre statistique, économique, administratif, juridique, social ou fiscal et apporter leur avis devant toute autorité ou organisme public ou privé qui les y autorise mais sans pouvoir en faire l’objet principal de leur activité et seulement s’il s’agit d’entreprises dans lesquelles ils assurent des missions d’ordre comptable de caractère permanent ou habituel ou dans la mesure où lesdites consultations, études, travaux ou avis sont directement liés aux travaux comptables dont ils sont chargés. Toutefois, par exception à cette dernière condition, les membres de l’ordre et les associations de gestion et de comptabilité peuvent conseiller et assister les entrepreneurs relevant du régime des micro-entreprises ou du forfait agricole dans toute démarche à finalité administrative, sociale et fiscale. »                                                                                                                         

Ainsi les membres de l’ordre des experts-comptables, les associations de gestion et de comptabilité et leurs salariés autorisés pourraient désormais conseiller et assister dans toute démarche à finalité administrative, sociale et fiscale les entrepreneurs relevant du régime des micro-entreprises ou du forfait agricole sans la condition posée jusqu’à présent que les dites prestations soient directement liée aux travaux comptables dont ils sont chargés.

Ce projet d’ajout est contraire à l’intérêt général et inéquitable de plusieurs façons.

D’abord, et une fois de plus, les prestations juridiques pour les plus faibles (après les consommateurs, les micro-entrepreneurs et les petits agriculteurs) seraient confiées à des non-professionnels du droit, comme si la loi était plus facile pour eux ou comme si leur faiblesse justifiait leur discrimination.

Par l’adoption de cet ajout, un pas de plus serait fait pour que la profession d’expert-comptable mélange les genres en se voyant reconnaître le droit d’ajouter à ses prestations du chiffre celles du droit, et cette fois sans l’excuse du caractère accessoire.

Il n’y a que de mauvais motifs de priver les entreprises les plus vulnérables des prestations juridiques d’avocats qui sont des juristes, qui sont soumis à des obligations de compétence et de responsabilité et qui sont obligés au respect de règles déontologiques garantissant à leurs clients qu’ils n’auront pas le même prestataire qu’un concurrent et que leurs secrets seront gardés.

Il n’y a que de mauvais motifs d’affaiblir encore la profession d’avocat à laquelle par ailleurs l’Etat demande d’assumer une aide juridictionnelle et des commissions d’office pour l’accès des plus démunis à la Justice et pour le bon fonctionnement de celle-ci qui pèsent structurellement et financièrement sur le Barreau.

Le sens de l’équité et de l’équilibre est ce qu’on attend du législateur. Il lui commande de ne pas permettre le dépeçage des avocats de son pays.

A ne considérer que la moyenne du chiffre d’affaires du Barreau, alors que 20 % de ses membres en perçoit 80 %, on s’aveugle sur la capacité de l’immense majorité des avocats français de survivre à la succession des coups portés par la carte judiciaire, par le partage sans jamais de réciprocité de son domaine d’activités, par la multiplication des obligations pour décharger l’appareil judiciaire, etc.

L’avancée de la profession comptable sur le domaine des prestations juridiques des avocats est bien sûr projetée sans contrepartie : personne ne songe à la compenser en permettant aux cabinets d’avocats d’offrir des travaux comptables. C’est perte nette contre gain net.

Le jour où le Barreau ne serait plus qu’un Barreau d’affaires, ce ne sont pas les experts-comptables et les notaires qui les remplaceront auprès des particuliers et entreprises sur le vaste et faiblement peuplé territoire français.

L’exemple du manque de médecins généralistes (qui a des causes différentes, on ne l’ignore pas) doit faire réfléchir.

Il faut rejeter l’article 13 quater du projet de loi 1889.

Veuillez agréer, Monsieur le Député, l’expression de me considération distinguée.

Paris, le 3 mai 2010

Vincent BERTHAT
Président

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