NON AU RAPPROCHEMENT AVOCATS- CPI

Article de Jean-Louis SCHERMANN, Président de la CNA, et de Vincent BERTHAT Premier Vice-Président de la CNA, paru dans la « gazette du Palais » mars 2008

RAISONS POUR LESQUELLES LACNA N’A PAS VOTE LA FUSION AVOCATS-CPI
AU CNB LE 14 MARS 2008

Il y a quarante ans la CNA soutenait la grande réforme de notre profession dans son célèbre « LIVRE BLEU » repris par tous aujourd’hui.

Naturellement la CNA a soutenu la réforme de 1990 et appelé à la création du CNB, qui est aujourd’hui le lieu où l’unité de la profession se manifeste. 

Si la CNA considère qu’une décision du CNB s’impose à tous, dès lors qu’elle procède d’un vote majoritaire, encore faut-il que celle-ci ne heurte pas les principes essentiels de la profession d’avocat, or c’est ce qui est en cause à l’occasion de ce débat.

La CNA ne participe pas à l’engouement qui prévaut au CNB pour l’intégration au Barreau des conseils en propriété intellectuelle, une profession réglementée en grande partie technique, et pas du tout judiciaire.

Elle déplore que le CNB, pour une opération de peu d’envergure et de grand risque, se contente de communiquer que l’assemblée générale du CNB « a voté à une très large majorité les principes et lignes directrices de l’unification entre les professions d’avocat (48 000 membres au 1er janvier 2008) et de Conseil en Propriété Industrielle (650 membres) », sans rendre compte des termes du débat.

La CNA est en bonne et nombreuse compagnie. Comme l’a rappelé le Barreau de Paris, l’unification en marche constituerait une première mondiale, par exemple des pays concurrents et sensiblement plus performants que le nôtre comme l’Allemagne et le Royaume-Uni ont deux professions. Regardons autour de nous, l’idée d’une telle fusion paraît généralement incongrue à nos confrères étrangers.

Et en France, quelle proportion d’avocats dans nos Barreaux l’approuve ?

Le vote du 14 mars 2008 au CNB connu, le Président  de la CNCPI (Compagnie Nationale instituée par la loi du 26 novembre 1990) en a rendu compte par une lettre du 17 disant à ses membres qu’il marque l’accord des avocats sur :

titre et mention de spécialisation (conseil en propriété intellectuelle),

structures d’exercice (ouverture du capital aux ressortissants communautaires possédant le titre de mandataires européens, délai de mise en conformité…),

représentation et visibilité des avocats « conseils en propriété intellectuelle ». La commission institutionnelle « Propriété Intellectuelle », qui s’inscrit bien entendu dans le cadre du Conseil National des Barreaux, sera le moyen d’assurer l’indispensable visibilité de la filière française de la propriété intellectuelle tant au plan national qu’international,

Il faut, les négociations se poursuivant entre le CNB et la CNCPI, rappeler la contribution publiée par la CNA, ses réserves, et ses propositions pour permettre un rapprochement qui ne soit pas une intégration de quelques centaines de firmes d’ingénieurs.

La CNA est évidemment tentée par l’idée séduisante d’intégrer des professionnels très qualifiés et performants, présents au service des entreprises, mais n’y voit en définitive pas d’intérêt pour le Barreau.

Le projet de fusion est un inopportun dérivatif à la nécessité de replacer l’avocat dans les bouleversements en cours, au centre des services juridiques et judiciaires, notamment en préparant la grande profession, sans opposer le Barreau aux professions qui ont vocation à le rejoindre ni diviser les avocats.

Il est urgent de mettre en chantier des réformes profondes du Barreau, de ses champs d’activité et modes d’exercice, de ses rapports avec les autres professions juridiques et judiciaires, et de ses collaborations avec les professions techniques. 

 

1 – Le Barreau n’a pas d’intérêt à l’intégration des CPI :

L’intégration des CPI ne correspond pas à un besoin du Barreau.

Les avocats spécialistes en propriété intellectuelle connaissent et pratiquent les matières à contenu surtout juridique que sont la propriété littéraire et artistique, les dessins et modèles, les marques et autres signes distinctifs.

Ils ne sont pas ingénieurs, mais n’ont pas besoin d’une fusion pour travailler avec des ingénieurs en brevet quand ils mettent en œuvre leur spécialité en droit des inventions.           

L’argument qu’en réservant en France l’exercice de la profession de conseil en propriété intellectuelle aux seuls avocats  le Barreau étendra son champ d’activité est un leurre.

Beaucoup d’ingénieurs, et pas les moins bons, n’accepteraient pas volontiers l’exigence d’une pesante formation en droit tandis qu’ils pourraient l’éviter dans des structures étrangères.

Ces structures étrangères ne pourraient pas être empêchées de fournir leurs prestations en France.

Les avocats qui ont vocation aujourd’hui à revendiquer la spécialité risquent de devoir choisir soit d’y renoncer soit de repartir à zéro pour entrer dans la profession nouvelle créée au sein du Barreau pour la première fois dans son histoire.

La diversité dans le Barreau n’est pas un argument convaincant. Les CPI sont trop différents des avocats, le Barreau ne peut pas être une accrétion de métiers qui ont peu de pratiques et de valeurs en commun et que la nature des choses rend complémentaires mais n’unira jamais.

La banalisation de la profession d’avocat, devenant une espèce indifférenciée de juristes et techniciens, exposerait plus que jamais le Barreau aux pressions qui s’exercent sur lui comme aujourd’hui pour la lutte contre le blanchiment des capitaux, plus généralement ceux que contrarient le secret professionnel et la confidentialité garantie aux citoyens qui se confient à un avocat.

Car la fusion menace les principes qui fondent la profession d’avocat, et cela tandis que le Barreau, confronté tant à la libération des services dans l’espace économique européen et dans le reste du monde (ne jamais oublier l’OMC) qu’aux menaces pour nos libertés, doit s’adapter sans abandonner sa mission.

On entend menacer : si le Barreau ne saisit pas la chance de cette intégration, d’autres professions la saisiront à ses dépens. Et encore : ne manquons pas l’occasion d’une intégration pour développer le Barreau.

Mais devons-nous intégrer non seulement les avocats aux conseils, les avoués, les notaires, mais aussi les CPI, les CIF (conseils en investissements financiers), les commissaires aux comptes, et pourquoi pas les experts agricoles et fonciers, les géomètres-experts ?

Ce projet n’est ni imposé par ce qui se fait dans les autres pays de l’Union Européenne, puisque sa réalisation nous isolerait, ni une anticipation de ce qui s’annonce.

Qui juge, hors du Barreau, que cela serait profitable ?

Le 28 septembre 2007 devant le CNB, notre ministre de la justice a déclaré qu’elle ne prendra pas l’initiative de l’intégration, que celle-ci ne serait à son agenda qu’en cas d’accord entre les professions.

Le MEDEF est hostile à la fusion. C’est une réponse du marché. Les clients risquent de ne pas regarder un avocat CPI comme un bon ingénieur en brevet, et de préférer d’autres spécialistes, étrangers après la fusion puisque les CPI soumis à la loi française seraient tous avocats.Les avocats réunis dans l’AAPI sont hostiles.

Le CNB doit craindre le mécontentement des grands barreaux, où l’on compte la plupart des avocats spécialistes en propriété intellectuelle. Et craindre l’incompréhension de la grande masse des avocats.

Beaucoup de CPI sont eux-mêmes contre l’intégration, redoutant notamment une perte d’attractivité dans la compétition avec leurs concurrents étrangers. L’idée est répandue parmi eux que l’intégration serait un frein au recrutement de bons ingénieurs par les cabinets français.

La majorité des CPI ne seraient en tous cas pas intégrés de bon gré à notre Barreau, à moins de leur faire une place à part qui le défigurerait.

 

2 – La fusion est impossible :

En 1971, la nouvelle profession d’avocat a réuni des professions judiciaires : avocats, avoués de première instance et agréés.

En 1990, cette fusion a été achevée (la loi de 1971 l’annonçait) avec les conseils juridiques, profession exclusivement juridique.

Après ces deux fusions, la profession d’avocat a été et demeure une : unicité d’ordres, d’instance nationale, de carpa, d’institutions de prévoyance, de centres de formation, etc.

L’impossibilité de donner le titre d’avocat à des professionnels dont beaucoup sont ingénieurs et non juristes est illustrée par l’exigence de leurs représentants de conserver leur autonomie dans la profession.Par la petite porte de cette intégration, on ferait entrer dans la profession :

        Le financement par capitaux extérieurs au risque de la dépendance

         L’organisation séparée d’une catégorie d’avocats au sein du CNB (commission dont la vocation serait de conserver à ces avocats un mode d’identification propre et de représentation par délégation)

         Une menace pour nos institutions sociales : la note de travail présentée au soutien du projet de fusion à l’assemblée du 14 mars 2008 contient ceci : « la CNCPI a pris des contacts avec la CNBF et la CREPA aux fins de s’informer des questions tenant à la retraite et au régime social des professionnels et de leurs salariés » !

         La différence de formation initiale : il s’agirait pour la première fois d’intégrer des professionnels dont les connaissances seraient pour l’essentiel techniques, sans la culture juridique que revendiquent justement les plus spécialisés des avocats actuels.

Des progrès sont faits, mais le projet nourri depuis plusieurs années n’a pas abouti à un accord, les exigences des CPI (souvent légitimes, mais inconciliables avec l’unité du Barreau et sa vocation) étant souvent très éloignées de ce qui est acceptable pour le Barreau.

Pourquoi tant d’efforts et de moyens investis par le CNB ?

 

3 – Forger les outils de la complémentarité, faire avancer le dossier de la grande profession, défendre les avocats français :

Les CPI spécialistes en brevet ont une activité complémentaire de celle des avocats. Ils ne sont pas les seuls.

Les règles du Barreau permettent les réseaux pluridisciplinaires et la co-traitance (articles 16 et 18 du RIN).

Pourquoi chercher absolument une solution statutaire à des problèmes pratiques auxquels on répond de façon plus pragmatique par des contrats ?

Un rapprochement avec les CPI peut devenir exemplaire s’il permet d’étendre les moyens donnés aux avocats de mieux coopérer avec des professions complémentaires, et, quand nécessaire, de faire des offres globales à la clientèle.

Son pouvoir normatif permet au CNB d’imposer des contrats-type, des règles d’exercice négociées avec les professions techniques, et de procurer ainsi aux avocats des facilités et une incitation à s’aventurer sur de nouveaux champs et de nouvelles pratiques sans cesser d’être ce qu’ils sont : avocats.

Pour ne pas faire reculer la profession d’avocat, il faut refuser d’intégrer en qualité d’avocats des professions techniques.

Pour faire avancer la profession d’avocat, il faut un grand dessein de rassemblement des professions juridiques ou judiciaires.

La CNA a joué un rôle important dans les fusions de 1971 et 1990. Une vision à la fois idéale et pragmatique de notre profession est nécessaire pour franchir de nouvelles étapes.

Dans le prolongement de la position prise par la CNA, qu’elle appelle l’ensemble des Barreaux à soutenir, sans exclusive, notre Congrès de Nantes les 26 et 27 juin 2008 fera connaître nos propositions pour 50 000 avocats, nos ambitions pour le Barreau français. 

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