Projet de décret modifiant des dipositions en matière de procédure civile

Lettre de la CNA au Garde des Sceaux 14/11/12 et la réponse du Chef de Cabinet.

Paris, le 14 novembre 2012

Madame Christiane TAUBIRA
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Ministère de la Justice 
1
3, Place Vendôme
75001 PARIS

Objet : Projet de décret modifiant diverses dispositions
en matière de procédure civile

Madame le Garde des Sceaux,

Monsieur Laurent VALLEE, Directeur des Affaires civiles et du Sceau,  a sollicité nos observations sur un projet de décret modifiant diverses dispositions de procédure civile, et notamment sur l’introduction de la procédure d’injonction de payer devant le tribunal de grande instance.

En effet, le projet de décret modifie l’article 1406 du Code civil pour permettre la présentation d’une requête en injonction de payer devant le tribunal de grande instance pour toutes les demandes en paiement entrant dans la compétence d’attribution de cette juridiction, au visa de l’article 4 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allégement de certaines procédures.

1) L’extension de la procédure d’injonction de payer au tribunal de grande instance n’apparaît cependant pas de manière évidente dans le texte de la loi du 13 décembre 2011. Elle résulte en fait de la modification par la loi des dispositions antérieures de l’article L. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire qui énonçait que lorsqu’il statue selon la procédure d’injonction de payer, sous réserve de la compétence de la juridiction de proximité, le juge d’instance est compétent à quelque montant que la demande puisse s’élever.

Dès lors, contrairement à ce qui est annoncé, le projet de décret ne constitue pas exactement la mise en œuvre de la loi. C’est en réalité le projet de décret qui vient de son propre chef étendre la procédure d’injonction de payer au Tribunal de grande instance. Il aurait fallu d’abord passer par la loi pour abroger expressément l’article L. 221-7 du Code de l’organisation judiciaire, qui donne une compétence générale au tribunal d’instance en matière d’injonction de payer, avant d’envisager une modification de l’article 1406 de valeur réglementaire.

Le projet ne parait donc pas juridiquement acceptable en l’état actuel des textes.

2) En outre, dans ce projet, la constitution d’avocat devant le tribunal de grande instance ne s’imposerait qu’au stade de l’instance qui suit l’opposition à l’injonction de payer et cette opposition elle-même pourrait être faite sans ministère d’avocat. Le projet de décret complète à cet égard l’article 1418 du Code de procédure civile par un alinéa précisant que le créancier doit constituer avocat dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l’opposition à l’injonction. Le recours à l’avocat ne serait donc pas obligatoire lors de la présentation de la requête d’injonction, ni lors de la notification de l’opposition.

Ces modalités, qui apportent sans justification une nouvelle exception au monopole de représentation devant les Tribunaux de grande instance s’écartent des préconisations de tous les professionnels, et notamment de celles de la Commission présidée par le professeur Serge Guinchard qui, dans son rapport, avait proposé d’étendre la procédure d’injonction de payer au tribunal de grande instance, tout en imposant la représentation par avocat ab initio.

Dans le prolongement de ces travaux, le texte du projet de loi initial sur la répartition des contentieux avait même exigé que la requête en injonction de payer soit présentée selon les règles de représentation propres au tribunal de grande instance. La disposition permettant la présentation de la requête sans avocat consacrée à l’article 4 III de la loi n’a été introduite que lors des travaux parlementaires.

Le projet d’article 1408 du Code de procédure civile marque donc un affaiblissement certain de la représentation de l’avocat devant le tribunal de grande instance et ne peut recueillir notre assentiment car elle viderait la représentation obligatoire de tout contenu en matière contractuelle.

La CNA demande expressément que les règles normales d’accès au Tribunal de Grande Instance soient maintenues pour l’injonction de payer, comme pour toutes les autres requêtes dont est saisie cette juridiction.

Certes, la requête en injonction de payer peut déjà être présentée sans limitation de montant devant le tribunal d’instance ou le tribunal de commerce, et donc sans avocat, mais, il s’agit de juridictions dont les modalités de représentation sont par nature différentes et tiennent aux particularités qui leur sont propres.

Devant le tribunal de grande instance, seul l’avocat peut représenter les parties en matière contentieuse (CPC, art. 751) comme en matière gracieuse (CPC, art. 797). Ce principe résulte également l’article 4 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques.

De surcroît, en matière d’injonction de payer, le recours à l’avocat est loin d’être superflu pour les créanciers qui par défaut de technique juridique et d’appréciation de leurs preuves risquent de mal présenter leur dossier, et perdre leur droit, et faire perdre du temps aux greffes et aux magistrats,pour les débiteurs dont on constate que, par défaut d’information, ils utilisent peu la voie de l’opposition, ce qui explique qu’en pratique de nombreux titres exécutoires sont obtenus sans débat contradictoire (le projet ne prévoyant l’avocat « TGI » qu’après l’opposition.

Devant le tribunal de Grande Instance, l’accès direct du justiciable n’est donc pas consubstantiel, dans son propre intérêt et pour l’égalité des chances et d’accès dans le cadre de démarches qui sont devenus de plus en plus complexes et techniques. Ce n’est donc pas de son intérêt que de le lui permettre.

Dans d’autres matières, cet accès direct avait été appliqué, dans un premier temps (voies d’exécution mobilières), par une saisine du juge sur déclaration, mais avait été abandonné au profit d’une saisine par voie d’assignation ce qui constituait un minimum d’encadrement technique pour saisir le juge de l’exécution.

Or ce sont ces juges qui avaient demandé le retour de cette disposition.

Permettre à tout justiciable de saisir directement le tribunal risque de créer des difficultés de gestion et de garantie des droits des justiciables eux-mêmes.

3) Enfin, encore deux observations techniques, toujours dans l’intérêt du justiciable

Constitution d’avocat  Au stade de la régularisation de l’opposition, et pas seulement après : il s’agit d’un acte contentieux qui doit être motivé et considéré comme une assignation,

Mention dans la signification des droits du débiteur , de sa possibilité de recours à l’AJ et à un avocat pour intervenir dans son intérêt sur l’opposition, à l’instar des procédure en matière de consommation ou de voies d’exécution immobilières, type commandement, et mention de constitution obligatoire, type assignation.

Voici les réflexions que nous inspire le projet précité.

Restant à votre disposition pour tout renseignement complémentaire

Nous vous prions de croire, Madame le Garde des Sceaux, à l’assurance de nos sentiments respectueux et distingués.

Heidi RANçON-CAVENEL, 
Présidente. 

Jean-Michel HOCQUARD, 
Président d’honneur.

Copie : Monsieur Laurent VALLEE, Directeur des Affaires Civiles et du Sceau.

Lire aussi : La lettre réponse du Chef de Cabinet du Garde des Sceaux (28/11/12)

la CNA reste attentive à la réponse du directeur des affaires civiles et du sceau et vous tiendra informés de celle-ci et de ses suites.

La Présidente et le Président d’honneur
.

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