Proposition :

L’Avocat en mission, une alternative réaliste à l’Avocat salarié en entreprise

Un avocat n’est pas qu’un juriste. C’est un juriste libre, indépendant et respectueux d’une déontologie. Ces précisions ne sont pas sans importance ni sans conséquences. C’est ainsi qu’un avocat qui soupçonne l’origine douteuse ou l’objet délictueux d’une opération qui lui est demandée par un client a l’obligation d’en informer les autorités compétentes. Dans un autre ordre d’idée, l’avocat qui assiste un dément a l’obligation de le faire savoir et de demander au juge devant lequel comparaît son client d’en tirer toutes les conséquences, même contre la volonté affichée de son client. Sa conscience et la déontologie le lui impose.

1°) Un vieux débat

Cette précision liminaire a son importance dans le débat qui agite le Barreau français depuis quelques quinze années : l’éventuelle intégration des juristes d’entreprise au barreau. Ce fut une question âprement débattue avec des arguments de plus ou moins bonne foi et des arrière-pensées souvent non-avouées. Dans le dernier temps de ce qui était devenu une véritable polémique entre les deux camps, les partisans de cette intégration avaient usé de prodiges sémantiques. Il ne s’agissait plus selon eux de discuter de l’intégration des juristes d’entreprise au barreau mais de la création d’un statut d’avocat salarié en entreprise. Ce statut nouveau devait, selon eux, placer l’avocat et le droit au centre de la problématique de l’entreprise.

La réflexion sur cette proposition conduisait cependant à constater que seuls les juristes salariés des entreprises seraient éligibles à ce statut. Le bénéfice pour le barreau était donc, de ce seul fait, totalement nul. De plus, l’éventualité de la création de ce statut faisait réapparaître le danger de la création d’un barreau d’entreprise et donc d’avocats ni libres ni indépendants puisque placés dans une dépendance hiérarchique leur interdisant d’apprécier les situations litigieuses en toute indépendance :

         comment dénoncer son propre employeur lorsqu’il lui demande d’effectuer un montage juridique contraire à la loi et à l’aide de moyens répréhensibles ?

         comment respecter l’obligation de confidentialité de certains documents face à son unique client qui est également son employeur ? (Il faudrait sanctuariser le service juridique jusqu’au système informatique)

         comment gérer une double discipline pour ces avocats d’entreprise (discipline interne à l’entreprise et discipline ordinale) avec le risque de contradiction de décisions ?

         quelle serait la couverture des risques professionnels (les avocats sont assurés pour le préjudice qu’ils pourraient causer non seulement à leurs clients mais aussi à leurs confrères) et comment seraient calculées les primes d’assurance pour ces avocats, sur le chiffre d’affaire de l’employeur ou sur les seuls salaires du juriste ?

         pourquoi revendiquer « l’accès au secret professionnel » alors qu’il ne s’agit pas d’un droit mais d’une obligation légale en avançant que ce secret permettrait ainsi aux entreprises d’échapper à des investigations parfois gênantes sur des opérations sans doute illégales ?

Ce dernier argument révélait une dangereuse tendance à confondre avocat et complice. Outre que cette position est moralement répréhensible, il demeure qu’elle était erronée. Dès lors que les autorités d’enquête ont la conviction qu’un avocat est complice ou co-auteur d’une infraction toutes les mesures d’investigations habituelles peuvent être employées et notamment les perquisitions et saisies de documents. Or un avocat salarié d’une entreprise serait « mécaniquement » considéré comme complice des infractions commises par son employeur. 

L’avocat est un auxiliaire de Justice, il n’est pas le complice des agissements délictueux de ses clients.

Prétendre et soutenir le contraire démontre donc soit une grande incompétence soit une particulière mauvaise foi dont les ressorts demeurent inquiétants.

2°) La Cour de Justice de l’Union Européenne s’en mêle

La Cour de Justice de l’Union Européenne l’a justement indiqué dans son arrêt du 14 septembre 2010 devenu célèbre (L’arrêt « Akzo-Nobel »), décision dans laquelle elle rappelle que l’avocat, pour invoquer l’existence du secret professionnel, doit pouvoir justifier d’une réelle indépendance à l’égard de son  client ; ce dont un avocat salarié d’une entreprise ne peut justifier… La messe semblait dite.

La Confédération Nationale des Avocats a toujours été à la pointe de ce combat pour défendre les avocats et un barreau indépendant. Néanmoins, il faut reconnaître que les critiques, même sans talent, des partisans de l’intégration des juristes d’entreprise au barreau à l’encontre notamment de la CNA et de son opposition résolue à une telle intégration avaient tendance à ringardiser une telle fidélité aux principes fondateurs de notre profession. Les opposants étaient ainsi accusés de ne pas vouloir défendre la place du droit dans l’entreprise et de laisser la place aux hommes du chiffre. Les accusations sont même allées jusqu’à prétendre que l’opposition à l’intégration des juristes d’entreprise au barreau entraînerait fatalement la délocalisation de certains centres de décision hors de France. Bref, les opposants devenaient de mauvais citoyens !

3°) La commission Darrois instrumentalisée par un lobby

Un avocat, ami du Président de la République, fut même chargé par celui-ci de se pencher sur la modernisation du Barreau français. Monsieur Darrois n’a rencontré, sur cet aspect du problème, que des partisans de l’intégration des juristes d’entreprise au barreau : c’est plus sûr et il a ainsi évité de trop bien connaître ce dont il avait à traiter ! 

Sa conclusion est « ébouriffante » : l’indépendance de l’avocat n’est pas tant une question de statut que de caractère ! Il suffirait donc de choisir des « hommes et femmes de caractère indépendant » pour que les juristes salariés des entreprises puissent devenir avocat salariés en entreprise et être indépendants. Il suffisait d’y penser… Et pourquoi ne pas l’appliquer à d’autres situations : on pourrait ainsi confier la direction des hôpitaux à des salariés des grands laboratoires pharmaceutiques à la condition qu’ils aient un caractère indépendant ; ce pourrait aussi être le cas des directeurs des services fiscaux qui pourraient être choisis parmi les salariés des sociétés de défiscalisation mais à condition d’être des hommes de caractère indépendant !

C’est manifestement un lobby qui était à la manœuvre ; cette constatation est d’autant plus pertinente quand on sait que les représentants du patronat français ne sont aucunement partisans d’une telle réforme. En fait seules les banques, les compagnies d’assurances et les sociétés dispensant du crédit sont en demande d’une telle possibilité.   

4°) La recherche d’une sortie de crise : l’avocat en mission

Nonobstant la vacuité des arguments opposés à la position de la CNA (et de bien d’autres), il demeurait un risque de ringardisation pour les opposants à cette volonté. Il n’est jamais agréable d’être accusé de retarder d’un train ou d’une guerre. En outre, il faut reconnaître que les hommes du chiffre n’ont pas interrompu leur stratégie de prise du contrôle intellectuel des entreprises. Du côté des avocats la création de l’audit juridique demeure un rêve (ou une fiction).

Et pourtant il existe bien un besoin en matière de présence des avocats dans les entreprises : ce besoin commence par la simple nécessité pour un avocat de se rendre au siège d’une entreprise cliente parce que c’est là que se trouvent les documents et archives nécessaires à la défense de son client. Certaines situations de crise rendent obligatoire une présence continue durant plusieurs jours ou semaines d’un avocat chez son client. La Commission de déontologie du Barreau de Lyon a réfléchi à cette situation et propose la création d’un statut nouveau : l’avocat en mission.

Des premières réflexions issues de cette commission il ressort que de telles missions en entreprise devraient faire l’objet d’une convention entre l’avocat et son client. Ces conventions devraient être « connues » de l’Ordre dont dépend l’avocat et elles devraient surtout prévoir et détailler les conditions matérielles de l’exécution de cette mission : local et moyens techniques mis à disposition, garantie de confidentialité quant aux documents et prestations de l’avocat…

Il ne s’agit pour l’instant que d’un premier jet qui doit faire l’objet d’un examen critique avant d’être officiellement proposé par la Profession aux pouvoirs publics. Néanmoins la CNA est fière d’être celle qui lance cette réflexion sur un sujet qui a trop longtemps pollué les débats internes au Barreau français. Cette réforme, si elle voit le jour, aura le mérite d’être effectuée au profit des avocats et non pas à leur détriment : ce sont des avocats indépendants qui en bénéficieront ! Outre le fait de mettre fin à une opposition stérile, cette proposition permettra aussi de mettre au pied du mur les partisans de l’intégration des juristes d’entreprise au barreau : puisque leur volonté affichée était de mettre l’avocat et le droit au cœur de l’entreprise, un tel projet ne devrait que les combler… Si par contre ils s’y opposent, ce sera bien alors la démonstration du fait que leur volonté et leur projet est tout autre et qu’il s’agissait bien de permettre tout simplement à certaines banques et compagnies d’assurance de transformer leurs juristes internes en avocats salariés en entreprise afin d’optimiser (au préjudice de leurs clients) les marges dégagées par leur activité.

La CNA ne modifie pas sa philosophie en engageant ce débat : elle demeure attachée à l’existence d’un barreau composé d’avocats libres, indépendants et respectueux de leur déontologie.

Lyon, le 1er février 2012.

Cyrille PIOT-VINCENDON
Avocat à LYON.

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